Somme toute rapidement

« Ce qui est exceptionnel dans le cas de Simon Houle, c’est la mobilisation sociale qui a eu lieu à la suite du jugement du juge Poliquin », observe l’autrice.
Photo: Adil Boukind archives Le Devoir « Ce qui est exceptionnel dans le cas de Simon Houle, c’est la mobilisation sociale qui a eu lieu à la suite du jugement du juge Poliquin », observe l’autrice.

C’est ainsi que se déroulera fort probablement la peine de Simon Houle. Vu son métier d’« ingénieur », sa bonne conduite à venir (ses mains ne semblent s’intéresser qu’aux corps des femmes) et le fonctionnement actuel des libérations conditionnelles, il sera certainement sorti avant la fin de sa peine d’un an. Certaines personnes qui n’ont jamais participé aux manifestations contre la banalisation des agressions sexuelles clament « victoire », estimant que ce jugement « vient rassurer la confiance du public, qui avait été ébranlée par cette affaire ». Avant de parler pour nous et de clamer que « ça donne espoir », il faudrait peut-être commencer par comprendre que le cas de Simon Houle est loin d’être un « cas isolé ».

En plaidant coupable en 1999 pour une agression sexuelle sur une jeune femme de 19 ans, Gilbert Rozon a obtenu une absolution inconditionnelle parce que son avocat avait fait valoir que son client devait travailler aux États-Unis pour son entreprise (Juste pour rire) et qu’il ne pourrait voyager s’il avait un dossier judiciaire. Depuis « l’arrêt Rozon », ce sont plusieurs agresseurs qui ont pu en bénéficier sans qu’aucune forme de thérapie spécialisée pour réduire le risque de récidive ne soit requise (ce qui leur aurait offert une véritable « réhabilitation ») ou encore sans être privés de voyager, ce qui leur permettrait de potentiellement commettre des agressions à l’international, hors de notre pays.

Or, pour certaines typologies d’agresseurs, sortir du système avec une petite claque sur les doigts — cette fameuse « deuxième chance » — les amène à s’imaginer au-dessous de tout (même des lois !) et à recommencer de plus belle. Les victimes subséquentes sont souvent tétanisées à l’idée de les dénoncer, car elles se sentent trahies d’emblée par un système qui n’a pas su empêcher que ces violences soient désormais exercées sur elles.

Ce qui est exceptionnel dans le cas de Simon Houle, c’est la mobilisation sociale qui a eu lieu à la suite du jugement du juge Poliquin (qui fut d’ailleurs blanchi par la magistrature). Bien que « la correction » qu’a infligée la Cour d’appel dans l’affaire Poliquin démontre qu’elle est bel et bien le bon véhicule pour « réparer un jugement mal raisonné », le fait que le Conseil de la magistrature du Québec a rejeté en bloc toutes les plaintes reçues contre Matthieu Poliquin n’aide aucunement les citoyens à comprendre les rouages du système ou à « rebâtir » leur confiance à l’égard de ce dernier.

Une culture à changer

La confusion demeure, et c’est une grave atteinte aux fondements mêmes de notre démocratie puisque l’écart entre la société et nos institutions démocratiques se creuse d’une bavure à l’autre. Notre culture juridique, la jurisprudence et des siècles de mythes, préjugés et idées reçues défavorables à l’égard des victimes teintent quotidiennement les actions (ainsi que les décisions) des acteurs du système. Il s’agit de violences politiques, coloniales et impériales, car même les élus n’ont pas le courage ou la capacité de légiférer en la matière. Les policiers, les procureurs et les juges jouissent de protections qui les rendent presque intouchables dans l’exercice de leur métier. Nous demeurons des sujets de la couronne britannique et prisonniers de notre propre Constitution, que nous l’appréciions ou non.

Si individuellement certains policiers, procureurs, avocats et juges font un travail hors pair, le fait est qu’ils n’ont pas beaucoup de latitude pour transformer durablement les problèmes qui découlent de la « structure » même de leurs professions. Ils ne peuvent que « réparer » à la pièce, « tribunal spécialisé » ou non.

Ce qui m’inquiète le plus, ce sont tous les cas qui ne sont pas médiatisés et qui concernent aussi d’autres domaines de droit. Que ce soit parce que des juges — depuis l’affaire Poliquin — décident de délivrer « sous scellé » des jugements favorables aux nombreux agresseurs ouvertement en croisade contre le mouvement #MeToo, ou alors les «  hors cour » qui se prennent en médiation (et autres ententes de confidentialité), comme on l’a vu avec Hockey Canada. Quand on connaît la « bisbille » qui subsiste entre le ministre de la Justice et la juge en chef, on sait qu’on n’est pas sortis du bois.

Le législateur a « erré » en entrant sur les platebandes de l’indépendance judiciaire et de la « Justice » (qui avait d’ailleurs déjà prévu la « division accès ») avec sa vision cavalière de ce que devrait être l’administration de la justice et de « l’accès à la justice ». Plutôt que de voir la fondation d’un nouveau domaine de droit, comme c’est revendiqué depuis des années par le mouvement #MeToo au Québec, nous sommes demeurés avec le même vieux système, mais avec un emballage 2.0 juste à temps pour les dernières élections. Rationnellement — si nous sommes véritablement unis contre la culture du viol —, nous devons nous préoccuper des violences sexuelles qui ont lieu en prison (tant de la part de gardiens que de codétenus), qui demeurent à ce jour largement sous-documentées.

Adopter pleinement la justice transformatrice

Quand on connaît l’ampleur et la gravité des violences judiciaires à l’égard des victimes qui dénoncent leur agresseur, porter plainte par les voies « officielles » ne devrait plus être un « gage social » de la sincérité des dénonciatrices. Il est temps de réfléchir aux retombées réelles de cette institution coûteuse (police, procureurs, avocats fournis à 75 % par l’état, juges) et de profiter du fait qu’elle est au point de rupture pour réaffecter les fonds vers où plus de 95 % des victimes se tournent véritablement, soit leurs communautés (qu’elles soient locales, culturelles ou en ligne). C’est une lutte qui peut sembler ambitieuse, mais elle a déjà été remportée par le passé.

En effet, les hommes politiques, les journalistes, les évêques s’opposaient unanimement au droit de vote des femmes. Les juristes, surtout, s’y opposaient. Pour eux, le droit de vote était inconciliable avec le Code civil en vigueur au Québec, selon lequel les femmes étaient considérées comme des incapables devant la loi. Autre exemple : les femmes du Québec étaient à la merci du Code civil jusqu’en 1964, car ce dernier les mettait en état de dépendance économique et sociale face à leur époux. Abolir la subordination légale des épouses était considéré jusque-là comme une « absurdité juridique ». Ce n’est pas d’hier que les femmes s’organisent, luttent et résistent.

À toute époque, on leur a toujours dit qu’elles allaient trop loin et exagéraient dans leurs revendications. Qu’elles demandaient l’impossible. Et chaque fois, elles ont triomphé. J’ai donc confiance dans le fait que nous sommes en train d’assister à un moment historique et que ce n’est qu’une question de temps avant que le Code criminel ne s’adapte à l’ensemble de la complexité liée à la problématique de la violence à caractère sexuel. Que d’autres lois vont suivre et que d’autres, discriminatoires dans leur essence, vont quant à elles être abrogées. Inspirée par les mouvements de droits civiques afro-descendants et des savoirs autochtones, la justice transformatrice serait d’ailleurs porteuse de sens et source d’innovation.

Plus que jamais, il est temps de trouver un équilibre. D’aller à la rencontre des groupes qui portent cette expertise expérientielle et de les intégrer pleinement aux discussions comme cela a été fait avec le Plan d’action national pour mettre fin à la violence fondée sur le sexe, que Québec refuse toujours de signer. Réparer les erreurs du passé et viser une véritable transformation de notre société. On le doit aux prochaines générations pour qu’un jour, plus aucune d’entre nous n’ait besoin de dire #MoiAussi pour être vue et entendue.

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