EDI, la «business» de la vertu universitaire

Dans une lettre publiée au Devoir et adressée le 17 janvier dernier et adressée aux dirigeants des universités québécoises, la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, a pris publiquement position après l’annulation par l’Université McGill de la conférence du professeur britannique Robert Wintemute. Ce militant gai, spécialiste des droits de la personne, avait en effet été accusé par une centaine d’activistes d’avoir des opinions transphobes. La ministre s’insurgeait alors contre l’esprit de censure ayant motivé cette décision et appelait les recteurs de partout au Québec à appliquer la loi 32 destinée à protéger la liberté universitaire.
Ayant conscience de l’importance de « certaines luttes » sociales, la ministre Déry mettait toutefois en balance l’exercice de cette liberté avec les objectifs d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI), susceptibles d’assurer « l’égalité des chances » pour tous et d’accroître la « représentativité des groupes cibles » (femmes, Autochtones, minorités visibles et handicapés) dans les établissements. Entre les deux, Pascale Déry admettait même qu’il pouvait y avoir parfois des « arbitrages difficiles ».
Le problème de fond a-t-il été bien posé par la ministre ?
On sait que depuis 2017, tous les établissements québécois sont soumis à un plan d’action fédéral en EDI, introduit au moyen du Programme des chaires de recherche du Canada. À première vue, cette intervention de l’État semble aussi nécessaire qu’heureuse puisqu’il s’agit de corriger les inégalités du milieu savant. Dans les faits, cette mesure très contraignante est l’occasion pour Ottawa de s’ingérer dans les compétences de Québec. Quant aux universités, elles y répondent peut-être moins par amour en soi de la justice que pour des raisons financières. Elles perdraient évidemment des millions de dollars à ne pas s’y plier.
Du reste, la question ne se limite pas à la recherche. On assiste actuellement à un véritable phénomène de société autour des EDI. De la Ville de Montréal à Radio-Canada, en passant par Meta et Google, il n’est pas d’administration ni d’entreprise en Amérique du Nord qui ne se targue pas de posséder sa politique EDI. Si ces plans servent une ligne d’action progressiste, inspirée des thèses du moment sur le genre et la « race », l’efficacité de la formule tient d’abord à son statut de message inclusif.
Ce procédé bien connu des agences de communication (publicitaire ou politique) sert à rallier des publics vastes et composites. En effet, qui s’opposerait en soi à la « diversité » ou à « l’équité » ? Si ces termes emportent l’adhésion de tous, c’est que chacun peut y entendre ce qu’il veut. Comment définir par exemple la diversité ? S’agit-il de diversité sociale ? Linguistique ? Religieuse ? Ethnique ? On le voit, chacune des notions qui composent l’acronyme EDI est élastique et floue à souhait.
S’il fallait cependant assigner une source précise aux EDI, c’est du côté du management qu’on la trouverait. Au cours des années 1990-2000, la notion de diversité a ainsi connu un essor sans précédent, des écoles de commerce aux entreprises privées. C’était la conséquence, entre autres, des résultats mitigés des politiques d’affirmative action aux États-Unis et du programme canadien d’équité à l’emploi. Le modèle « équité », « diversité », « inclusion » s’est donc développé et étendu aux administrations publiques, aux médias, au monde de l’éducation et de la culture. Il a donné naissance à une économie de services dans laquelle prospèrent aujourd’hui des firmes de stratèges et de conseillers EDI.
C’est dans ce contexte qu’a fleuri un véritable marché de l’antiracisme avec ses ateliers de sensibilisation aux biais inconscients, dont l’efficacité a été pourtant maintes fois contestée. Pamela Newkirk rappelle ainsi qu’au début du siècle, le chiffre d’affaires de l’industrie EDI s’élevait déjà à 8 milliards de dollars aux États-Unis. Depuis la création de Black Lives Matter et du mouvement #MoiAussi, les emplois en ce domaine ont décollé, et ce, alors même que la qualification et l’expertise pour ce genre de poste restent des plus obscures.
À l’Université McGill, on a pourtant adopté avec ferveur ce modèle. Au sein de l’équipe dirigée par la vice-rectrice à l’« équité » Angela Campbell, les postes n’ont cessé de croître ces dernières années. En plus des services attendus et nécessaires (en santé mentale, violences sexuelles, etc.), on offre au personnel des formations sur le leadership inclusif et les micro-agressions, une notion pourtant très controversée. On y trouve aussi des ressources variées : des bibliographies pseudoscientifiques sur la discrimination (Robin DiAngelo), un calculateur capable (paraît-il) de détecter vos biais de genre, sans oublier un site de yoga destiné aux personnes dites racisées…
Les fonds considérables alloués à toutes ces initiatives détournent l’université de ses missions fondamentales. Quant à l’équité, la diversité et l’inclusion, ne méritent-elles pas mieux que cette business de la vertu ?