Comment peut-on dormir alors que notre lit brûle?

Résilience. Voilà, avec le terme bienveillance, un mot très populaire ces jours-ci, un mot qui cache une certaine laideur et qui est employé à toutes les sauces : résilience devant la maladie, dans des situations personnelles difficiles, en préparation à la hausse des niveaux de la mer, résilience quant aux hausses de température, à la propagation d’un nouveau virus, on parle même de la résilience de nos forêts !
Dans le domaine de la physique des matériaux, la résilience existe lorsqu’une matière déformée reprend sa forme initiale tout en conservant ses propriétés. Pas étonnant que ce mot ait été emprunté par la psychologie depuis les années 1970 pour décrire un comportement qui permet aux humains ou à un groupe de se reconstruire d’une façon socialement acceptable dans des situations de chocs traumatiques.
Où le bât blesse, c’est quand la politique s’approprie ce mot qui devient alors une clé verrouillant sans complexe les causes de nos ennuis sans qu’on puisse les remettre en question, cachées qu’elles deviennent par l’appel à la résilience. Derrière la résilience des survivants des inondations au Saguenay et de Fukushima, ou celle des enfants de la DPJ se cachent des problèmes.
Or, les gouvernements et de plus en plus d’instances instillent sans cesse dans nos psychés la nécessité pour le citoyen d’être résilient, comme si chacun détenait un réservoir inépuisable de capacité à rebondir, et que cette capacité pouvait être, aujourd’hui et dans l’avenir, mobilisée sur commande. L’idée, ici, n’est pas de nier l’existence de l’aptitude humaine à surmonter les défis, non, il s’agit plutôt de montrer qu’au Québec, au Japon, ailleurs dans le monde, on encourage l’illusion voulant que notre capacité à rebondir soit la solution à nos problèmes. L’accent est ainsi déplacé du problème vers la capacité de l’humain à le surmonter.
Tous les êtres vivants sont dorénavant invités à être résilients pour compenser l’ineptie et l’inertie de quelques-uns qui, à eux seuls, sont la cause de la majorité de nos misères environnementales et sociétales. La vie, en 2023, est donc une bataille de tous les instants, une bataille dont un des boucliers indispensables est la résilience. Heureux ceux dotés de résilience, ils seront rois au royaume de la désolation annoncée.
Pourquoi faire autant appel à la résilience ? Est-ce le signal que le système ne nous aidera pas, ne nous sauvera pas ? Le fait que nos gouvernements lancent un appel à maximiser notre résilience est abominable. Ne vaudrait-il pas mieux qu’ils travaillent à aplanir nos difficultés ?
Radeau de sauvetage
Puisque le système croule, il faut pour l’immédiat apprendre seul à bricoler son propre radeau de sauvetage. Mais les doués, les intellectuels et les influenceurs ridiculisent les moyens pris par la « populace » pour tirer son épingle du jeu en construisant son embarcation de survie. Pour n’en citer qu’un seul : « L’époque nous enjoint de nous replier sur notre “moi authentique”, pour atteindre notre “pleine conscience”, au nom d’une “émancipation individuelle”. Ce culte de l’individu encourage les pires lubies. »
Faisons preuve de bienveillance… pfft ! disent-ils, c’est vivre dans un monde de licornes ; recherchons plus de sagesse intérieure, pfft ! disent-ils, ce n’est pas appuyé par des données probantes ; méditons… pfft ! disent-ils, mollesse ; équilibrons nos vies… pfft ! disent-ils, on n’a pas le temps pour ça, et la productivité en souffrira…
Nous n’avons jamais été aussi nombreux à être scolarisés, instruits et éduqués, et pourtant, notre niveau de détresse existentielle n’a pas cessé d’augmenter depuis 60 ans. Quel est donc l’ingrédient qui nous manque si cruellement pour rehausser notre potentiel ? On cherche sans arrêt à nous dépasser : mais qui est donc cet individu en soi qu’on souhaite tant dépasser, serait-ce celui qu’on cherche à fuir ?
L’existence précède l’essence, l’homme étant libre de se définir : il est ce qu’il se fait être (ça, c’est de la philosophie… D’aucuns de ces doués disent : pfft ! c’est incompréhensible !) À mon point de vue, un début de réponse à la question est justement de recommencer à réfléchir et à philosopher par nous-mêmes sur ce que nous sommes devenus par la faute de nos gestes. Les solutions trouvées ainsi ne seront pas que prônées, mais incarnées.
L’objectif de notre gouvernement pour 2023 est de réduire l’écart de richesse entre le Québec et l’Ontario. Cessons de faire toujours plus de ce que nous faisons, ce qui n’occasionne finalement que davantage de dégâts. Fort malheureusement, tant de bêtise invite à être résilient et consentant, non pas philosophe. L’injonction devient : soyez résilients afin de compenser les bêtises de nos actions.
Alors, retournons dormir et vivons à fond notre résilience. « How do we sleep while our beds are burning ? » chantait-on voilà trois décennies… Pas étonnant qu’en 2020, le mot « collapsologie » ait fait son entrée dans le dictionnaire.