Le pape Benoît XVI et les femmes, un héritage indigne

Survenu le 31 décembre 2022, le décès du pape Benoît XVI a suscité de nombreux textes sur la contribution d’un homme reconnu par plusieurs comme un grand intellectuel et comme un grand théologien. Mais on a peu mentionné un élément crucial : sa conception du statut des femmes. Celle-ci a pourtant eu un impact considérable sur la politique antiféministe du Vatican des quarante dernières années.
Le concile Vatican II (1962-1965) a ouvert l’Église catholique romaine au monde, intégrant cependant dans ses décrets les courants conservateurs et progressistes alors en vive tension. Que deviendrait l’Église après le concile ? Accepterait-elle les principes des droits de la personne, de l’égalité et de la non-discrimination en son sein ? À la clôture du concile, ces questions demeuraient ouvertes.
Jusque dans les années 1970, la théologie catholique du Saint-Siège a réglé la question du statut des femmes en peu de mots. Leur subordination allait de soi. Celle-ci était sociale et aussi ecclésiale, et cela n’exigeait aucune explication.
Après le concile Vatican II et après la seconde vague féministe qui prend son envol dans la même décennie, l’enjeu du statut des femmes devient crucial pour les dirigeants du Vatican. Le pape Jean-Paul II (1978-2005) s’attelle alors à la tâche de développer une « théologie de la femme » qui fait plusieurs centaines de pages. Cette théologie politique justifie la subordination de la femme à l’homme, l’interdiction absolue de la contraception et de l’avortement, et l’exclusion des femmes de la prêtrise, donc de la gouvernance dans l’Église, parce qu’elles sont des femmes.
Préfet de la Congrégation de la doctrine de la foi de 1981 à 2005 et bras droit du pape Jean-Paul II, le cardinal Joseph Ratzinger participe activement à la construction de la politique patriarcale contemporaine du Vatican. Devenu pape Benoît XVI (2005-2013), il la poursuit et il la consolide. Son successeur, le pape François, la réitère à ce jour.
L’homme a exposé sa théologie politique sur les femmes et sur le féminisme dans une dizaine de textes. En voici cinq énoncés significatifs.
D’abord, le cardinal Ratzinger a soutenu que la femme est un « autre “je” » dans l’ordre de l’humanité. « En son être le plus profond et le plus originaire, [elle] existe “pour l’autre” » (2004). Il soutient que le principe d’aide est inscrit par Dieu dans la nature de la femme comme une donnée anthropologique immuable.
Ensuite, il estime que la caractéristique spécifique de la femme est de donner naissance. Il s’agit de sa constitution « psycho-physique » qui correspond à la volonté éternelle de Dieu. L’identité féminine est « liée à sa capacité physique de donner la vie » (2004).
Sur ce point, le cardinal Ratzinger a justifié sa vision par ces mots : « la complémentarité des sexes » est « une vérité évidente ». On « ne peut effacer de l’esprit humain [la] certitude » de l’existence de « deux personnes de sexe différent » (2003).
Selon lui, le féminisme est dangereux. D’abord, le féminisme considère « les différences entre les sexes comme des conditionnements culturels de sorte qu’il nie leurs déterminations biologiques » ; ensuite, il brise l’harmonie entre les hommes et les femmes faisant en sorte que la femme « s’érige en rivale de l’homme » (2004). Le féminisme représente une telle menace, écrit Benoît XVI, qu’il signifie une « autodestruction de l’homme [sic] et donc une destruction de l’oeuvre de Dieu lui-même » (2009, souligné dans le texte).
Enfin, à son sens, les femmes n’ont pas accès à l’ordination sacerdotale, mais cela ne constitue pas une discrimination, car pour qu’il y en ait une, il faudrait que l’action corresponde à une loi injuste. Or, ce n’est pas le cas en ce qui concerne les rôles différents exercés par les hommes et par les femmes, puisqu’ils sont voulus par Dieu (2003).
Une affaire qui suscite l’indignation
Il s’agit du discours actuel et de la politique contemporaine des dirigeants du Vatican, entérinés par le pape François.
Le patriarcat contemporain du Vatican a un effet délétère sur les femmes catholiques, mais également sur toutes les femmes du monde. Le Saint-Siège possède le statut d’État observateur à l’ONU, où il exerce une influence certaine. Sur le plan mondial, il est fortement critiqué par des forces à l’intérieur de l’Église catholique. On consultera à ce sujet les critiques de groupes féministes québécois, tels Femmes et ministères et L’autre Parole.
De mon point de vue d’analyste féministe des religions, je désire souligner l’habileté diplomatique des dirigeants du Vatican, qui s’en tirent avec fort peu de critiques provenant de l’extérieur de leur organisation au sujet de leur politique de subordination des femmes.
Le Saint-Siège s’insère dans un ensemble de régimes autocratiques actuels, étatiques ou religieux, qui piétinent les droits des femmes et qui maintiennent celles-ci en position de mineures. Les dirigeants du Vatican mériteraient une opposition forte et explicite de la part des États démocratiques et des organismes qui défendent les droits de la personne.
L’héritage du pape Benoît XVI en ce qui concerne le statut des femmes dans la société et dans l’Église suscite une vive indignation.