L’écosocialisme, une stratégie pour notre temps

Depuis une décennie, nous avons vécu deux grandes vagues de révoltes populaires mondiales : dès 2010, le Printemps arabe et les grandes révoltes contre l’austérité en Europe de l’Ouest, en Amérique du Nord, dont notre Printemps érable. À partir de 2019, une deuxième vague se manifeste par la mobilisation mondiale de la jeunesse contre les changements climatiques, les luttes populaires contre la droite en Amérique du Sud et l’important mouvement antiraciste de Black Lives Matter aux États-Unis. De nos jours, la discussion publique à gauche ne porte plus sur l’absence de résistance populaire au néolibéralisme, mais plutôt sur les moyens stratégiques pour que ces révoltes puissent aboutir à de réelles transformations systémiques.
Des Idées en revues
Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue Nouveaux cahiers du socialisme, automne 2022, nº 28.La situation actuelle nous amène à centrer le débat sur la question de la stratégie, c’est-à-dire sur la lutte politique pour un socialisme écologique et libérateur. Non pas que l’exploration théorique et programmatique de cette société nouvelle soit terminée. Non pas que l’hypothèque attachée au terme de « socialisme » après les échecs du XXe siècle soit levée. Il y a encore fort à faire sur toutes ces questions.
Cependant, le débat est devenu une question pratique, une question de luttes sur le terrain, car les initiatives écosocialistes se multiplient.
En 2012, Jean-Luc Mélenchon, alors candidat du Front de gauche à l’élection présidentielle française, proposait de lier luttes écologiques et luttes sociales dans une vision de rupture avec le capitalisme et le productivisme afin de promouvoir une planification écologique et démocratique. Il a appelé « écosocialisme » cette nouvelle synthèse du socialisme et de l’écologie et l’a intégrée dans son programme électoral. En 2017, il a récidivé en publiant une brochure, L’ère du peuple, qu’il termine par un appel éloquent à l’écosocialisme. En 2022, Mélenchon remportait 22 % des votes à l’élection présidentielle et, à la tête d’une alliance de gauche, un remarquable score de 26 % aux élections législatives. En place de choix au programme : la planification écologique et démocratique, héritée des programmes écosocialistes des années précédentes.
En 2019, Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez, des Democratic Socialists of America, lancent le Green New Deal (GND), qui devient rapidement la revendication phare de la nouvelle gauche socialiste états-unienne. Cette revendication antinéolibérale peut relier les luttes sociales et climatiques et préfigurer l’écosocialisme. Naomi Klein ne s’y trompera pas : elle affirme dans son livre On Fire : The Burning Case for a Green New Deal que le GND proposé par les jeunes socialistes américains exprime l’aspiration à une vision écosocialiste et démocratique, aux antipodes du vieux socialisme industriel et autocratique de l’Union soviétique.
Les mouvements sociaux ne sont pas en reste. Alors qu’en 2011, les plus à gauche affirmaient qu’il fallait « changer le système, pas le climat », l’idée se précise aujourd’hui avec un anticapitalisme assumé souvent suivi d’un appel à l’écosocialisme.
Le mouvement des grèves étudiantes lancé par la jeune militante Greta Thunberg à l’automne 2019 a mobilisé six millions de participantes et participants dans le monde, dont une manifestation monstre de 500 000 personnes à Montréal. Depuis, Greta et son mouvement Fridays for Future ont constamment radicalisé leurs positions avec des dénonciations explicites du capitalisme, du colonialisme et du racisme.
Les idées écosocialistes ont souvent un ancrage ancien dans les luttes populaires du Sud global. Ainsi, au Brésil, l’influence écosocialiste se fait sentir dans des mouvements sociaux comme le Mouvement des sans-terre, dans les mouvements pour les droits territoriaux des peuples autochtones, ainsi qu’au sein des partis politiques comme le PSOL (Partido Socialismo e Liberdade). En Afrique du Sud, les idées écosocialistes se développent depuis 2011 et s’expriment aujourd’hui dans une vaste convergence, la Climate Justice Charter, qui milite contre le capitalisme vert et pour une transition démocratique et populaire.
La nécessité d’une solution de rechange globale au capitalisme saute aux yeux. L’ONU et les scientifiques du GIEC tirent la sonnette d’alarme et préviennent que des transformations sont urgentes si l’on veut éviter l’irréparable. La question de l’heure : la transition écologique et sociale.
Loin de faire la fine bouche face à cette question que certains considèrent comme une compromission avec les tenants du système, nous y voyons au contraire l’occasion de réaffirmer la nécessité d’une transition antisystémique et de transformer cette perspective en revendication mobilisatrice sur le terrain des luttes de classes et populaires. Plus que jamais, un écosocialisme fédérateur et démocratique est nécessaire.
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