La littérature et la philosophie comme boucs émissaires

Depuis la création des cégeps, épisodiquement, on remet en question autant la forme que le contenu de la formation générale. Quand la critique ne provient pas des dirigeants du réseau, elle émane d’autres acteurs qui y voient une source de problèmes majeurs à corriger (Didier Delsart, « Le cégep en état de mort cérébrale », Le Devoir, 29 décembre 2022). On vise tout particulièrement les cours de français-littérature et de philosophie. Avant d’accuser et de se précipiter dans la boîte à solutions, prenons donc le temps d’examiner la situation.
La grande difficulté de plusieurs à s’exprimer correctement à l’écrit est effectivement un constat qui s’impose. Les fautes d’orthographe et les erreurs syntaxiques et grammaticales sont pour la quasi-totalité des violations de règles élémentaires qui auraient dû être assimilées au primaire et au secondaire.
Les problèmes en littératie sont aussi flagrants. Il n’est même pas question ici de difficultés à saisir le sens d’un extrait du Discours de la méthode, mais de simplement comprendre un article de journal. Faut-il pour autant revoir la formule des cours de français-littérature et de philosophie afin de pallier ces lacunes ?
D’abord, cela reviendrait à laisser croire que les problèmes de rédaction et de compréhension de textes sont exclusifs à ces cours. Or, il s’agit là d’un problème transversal, constaté aussi bien par les professeurs de la formation générale que par ceux de la formation spécifique.
Les étudiants peinent autant, ou presque, à lire des textes scientifiques et à rédiger des devis techniques qu’à lire un roman et à écrire une dissertation. S’il faut, dans un souci d’équité et de réussite scolaire, alléger les exigences en formation générale pour une bonne partie des étudiants, alors il faudrait, pour être cohérent, faire de même dans les autres matières, ce qui reviendrait à niveler par le bas.
Ensuite, ce serait prendre le problème par la fin plutôt que par le commencement. Lorsqu’une personne entre au cégep pour la première fois, elle a déjà passé douze années de sa vie sur les bancs d’école. Normalement, elle devrait suffisamment maîtriser le français pour s’attaquer à des contenus plus poussés, qu’ils soient philosophiques, scientifiques ou techniques.
Mission fondamentale
Est-ce que de revoir les contenus enseignés, les méthodes d’enseignement et d’évaluation et, même, de séparer les étudiants selon leur maîtrise de la langue et leur bagage culturel résoudrait le problème ? On peut en douter, ne serait-ce que parce qu’il est probablement trop tard pour réagir. À moins, évidemment, que réussir soit simplement synonyme de passer son cours coûte que coûte.
D’ailleurs, adapter les cours de philosophie et de français-littérature selon les compétences linguistiques et le niveau de culture générale, ou encore selon le programme d’études, est une proposition plus que douteuse. Premièrement, cela reproduirait cette déplorable réalité qu’est le système d’éducation à plusieurs vitesses, puisqu’il y aurait des classes stimulantes et enrichies (et fort probablement des professeurs plus motivés) pour les chanceux qui sont préalablement allés au privé ou qui ont suivi un programme particulier au public ; pour les autres, du contenu édulcoré et des exigences simplifiées, et par voie de conséquence, un diplôme dévalué.
Rappelons qu’ici, chance rime bien souvent avec parents mieux nantis et plus éduqués. Cloisonner et hiérarchiser les étudiants irait ainsi à l’encontre d’une mission fondamentale de la formation générale, qui est de former dans un esprit de solidarité et d’égalité.
Au-delà des murs
Deuxièmement, réserver les cours plus approfondis aux étudiants des programmes contingentés, comme sciences de la nature, serait considérer que les étudiants d’autres programmes sont moins intéressés et moins aptes à penser. Or, l’expérience de tout enseignant montre qu’il y a des étudiants sérieux et curieux dans bien d’autres domaines, et que les meilleurs étudiants sur papier, dont certains n’en ont que pour leur cote R, ne sont pas forcément les meilleurs étudiants en classe, ceux qui nourrissent les cours par leurs réflexions et leurs questions.
Que dire, finalement, de ce sempiternel reproche adressé à la séquence des cours et des auteurs qui est basée sur l’histoire même de la pensée, qui caractérise la formation générale dans les collèges francophones ? Elle serait par trop contraignante pour les professeurs et trop peu alléchante pour les étudiants ? Rien n’est plus faux, puisque étant donné le grand nombre de thèmes et d’auteurs susceptibles d’être abordés pour chacune des grandes périodes visitées et le professionnalisme du corps professoral, chacun peut donner une saveur particulière et intéressante à son cours.
Ces dernières années, la pandémie a amplifié des phénomènes déjà présents depuis longtemps et qui dépassent de plus en plus les différents acteurs du milieu scolaire. Laisser entendre que les cours de français-littérature et de philosophie dans leur format actuel seraient à l’origine des problèmes de motivation, de réussite et, même, de justice au collégial, c’est trouver des boucs émissaires idéaux pour des problèmes profonds dont les causes se situent parfois au-delà des murs des écoles.