Contribuer à l’embellissement du monde

Rédactrice et citoyenne engagée, l’autrice a enseigné la littérature au collégial, est présidente du conseil d’établissement d’une école primaire et membre du comité de rédaction de Lettres québécoises. Elle a codirigé et coécrit le collectif Traitements-chocs et tartelettes. Bilan critique de la gestion de la COVID-19 au Québec (Somme toute).
Le regard est franc, comme le gars. « J’ai trouvé ça le fun que tu veuilles me parler de ces petits textes-là », me dit en s’attablant Vincent Vallières, dont la page Facebook déborde de bijoux textuels depuis un an et demi ; autant d’odes au territoire qu’aux humains qui l’habitent.
Mise en bouche. « Le vent a de l’élan. Il pousse le ciel à faire un carrousel avec les nuages. Des formes immenses s’y assemblent puis se dispersent les unes à la suite des autres juste au-dessus de la ligne d’horizon. J’ai vu passer un coeur, un arbre, une maison, trois voitures. En quelques secondes, le bleu de l’espoir cède sa place au gris du doute qui vient tout barbouiller. Les gratte-ciel n’habitent pas ici, préfèrent le sud et les grands centres. » Grande Prairie, Alberta, version Polaroïd impressionniste à la Vallières.
C’est en tournée solo, à l’été 2021, qu’il a commencé à écrire plus assidûment sur les villes où il s’arrêtait. « Il y avait moi et mon sonorisateur… qui voyageait à moto ! » Ça en fait, des kilomètres d’asphalte à dévorer seul, en laissant partir notre tête dans tous les sens ; ça en fait, des paysages devant lesquels s’arrêter juste parce que. « C’est le type de tournée qui amène à une sorte d’intériorité. Je laisse défiler sans résister le film qui joue dans ma tête. » Puis, il le cristallise sous forme de texte une fois à l’hôtel et nous l’offre. Cadeau.
Entre partout et nulle part
« Je me suis laissé prendre au jeu. Maintenant que mes enfants ont grandi, j’arrive dans une ville quelques heures plus tôt et je repars un peu plus tard. » Sans la bulle du band, qui protège autant qu’elle maintient les gens à distance, la rencontre avec la ville et son monde est plus entière. Il faut se donner de l’espace pour que surgisse le moment à capturer.
C’est ce que l’auteur-compositeur-interprète chasse, très pacifiquement, au pas de course : des moments — au-delà et en deçà des paysages et des humains. Les ouvriers qui sortent de l’usine sous un ciel flou, dans un ballet désorganisé, les yeux d’un jeune frondeur qui brillent, déterminés, le couple qui vient lui présenter son enfant devenu grand, et dont la première date a eu lieu à l’un de ses spectacles, encore ti-cul.
On parle de se mettre à la hauteur des gens qu’on rencontre, jamais au-dessus ; des rencontres humbles, avec le territoire et les humains, auxquels il ne tente jamais d’imposer ses vues. Une altérité saine et réciproque. Rare. Même quand la colère gronde. « J’ai toujours présumé que la toune de Desjardins parlait de la vie d’avant, que la sécurité des citoyens de Rouyn était chose acquise depuis longtemps. J’ai une pensée soudaine pour mes grands-parents qui ont fait la grève d’Asbestos en 1949. [Plus de] 70 ans plus tard, c’est fou qu’on place encore des travailleurs québécois devant des choix impossibles. »
On s’entend. Il comprend que certains résidents de la place ne veuillent pas le voir ; il respecte leur souhait de ne pas changer de vision, car c’est elle qui tient leur monde en place. Humble, on disait. Dans le dossier de la Fonderie Horne, il oriente son « à boutisme » vers notre PM, « bon père de famille. Surréel de l’entendre balayer le problème dans la cour des citoyens ».
Toute beauté n’est pas perdue
Nous jasons des centres-villes baroques, sans plan d’urbanisme, puis de ceux qui, soucieux du patrimoine, ont mieux fait les choses. « C’est peut-être too much ou quétaine, des fois, mais y’a une vision, un souci de préserver quelque chose » — ce qui ne veut pas dire qu’on fige le temps. Il salue les entrepreneurs qui ne font pas table rase du passé, comme Moulin 7, une microbrasserie de Val-des-Sources qui expose les artefacts de l’ancienne mine Jeffrey et qui a mis l’ancien site en valeur en créant le Slackfest, où s’étirait un câble de deux kilomètres au-dessus de la fosse. Le 12 août dernier, le Sherbrookois d’origine s’est d’ailleurs procuré L’habitude des ruines, de Marie-Hélène Voyer (Lux), un essai coup de coeur que je l’encourage à lire bientôt.
De la Côte-Nord au Yukon, Vincent Vallières est soufflé par la vastitude. « Ce qui est frappant, à Grande Prairie, c’est l’espace. La largeur des rues. Serge Bouchard disait qu’au Témiscamingue, certaines rivières n’étaient pas encore nommées. Trop nombreuses. On ne connaît pas toujours bien la réalité de l’autre. Certaines de ces villes, où l’espace n’est pas une contrainte, ont été construites pour que les camions des minières y passent. Elles ont été bâties pour être un jour démolies. » Comme Gagnon, où mes parents ont habité jadis, rasée puis enfouie. Comme Fermont, qui tient encore debout.
« Les communautés qui se sont formées gardent des villes en vie. Rouyn est devenue un pôle culturel incroyable. » Je lui fais remarquer que, si certaines collectivités l’honorent trop peu, ses textes font quant à eux un sacré beau devoir de mémoire.
C’est le propre des artistes, qui agissent souvent comme des passeurs, et pas uniquement de leurs propres créations, aussi de celles des autres, du patrimoine, des éléments de la nature, des fulgurances qu’ils colligent et rassemblent, avec sensibilité, dans des écrins de toutes sortes. Lors du spectacle de Myriam Gendron à La Tulipe, le 8 décembre dernier, Glenn Jones racontait que le guitariste John Jackson exposait sous verre tout ce qu’il trouvait sur le sol : le cinq sous de l’avant-guerre comme le tesson de bouteille, l’os de poulet comme le coquillage.
J’ai pensé à Autobiographie de l’esprit, d’Élise Turcotte (La Mèche), puis, à nouveau, aux textes de Vallières. Et Myriam Gendron a tout résumé, avec humour et coeur, en lâchant qu’elle faisait dorénavant tout ce qu’elle faisait « pour contribuer à l’embellissement du monde ».
À tous ces cueilleurs et cueilleuses de fulgurances, merci.
À force, on va finir par y arriver. Bonne année 2023.