Ceci n’est pas un professeur d’université
Aujourd’hui, le monde des universités est en pleine transformation et vit un développement inquiétant. La technologie de ChatGPT a récemment fait son entrée dans les milieux académiques, et ce, sous la forme d’une « accélération sociale ». Une telle innovation a des conséquences profondes sur l’enseignement et la recherche.
ChatGPT est une technologie de « traitement du langage naturel » qui peut être utilisée pour automatiser l’écriture et la recherche académiques. Dans un monde académique en transformation, cette technologie a le potentiel d’accélérer la production et la diffusion des connaissances. Elle peut en effet faciliter la traduction, la rédaction et la recherche de documents, et ainsi rendre plus rapide et plus efficace la production de travaux académiques.
Mais cette technologie présente de sérieux risques pour l’intégrité scientifique et académique. Certains craignent que la technologie ne soit utilisée pour contourner le processus d’examen des travaux académiques, donnant ainsi aux auteurs un avantage injuste et des résultats non fiables. De plus, cette technologie pourrait être utilisée pour accélérer la néolibéralisation des universités, qui tend à réduire l’accès aux ressources et à dégrader la qualité de l’enseignement et de la recherche.
Enfin, l’utilisation de ChatGPT pourrait entraîner un « capitalisme de surveillance », où les utilisateurs seraient constamment surveillés par des algorithmes. Les chercheurs et les étudiants pourraient être sujets à une surveillance accrue, leurs recherches et leurs travaux étant analysés et évalués par des algorithmes. Cette technologie pourrait également entraîner une perte d’autonomie et de liberté pour les chercheurs et les étudiants, les privant de leur droit de décider de la manière dont leurs travaux sont produits et diffusés.
L’arrivée de ChatGPT dans les milieux académiques soulève donc des inquiétudes légitimes. Les universités doivent prendre des mesures pour protéger leurs étudiants et leurs chercheurs, et pour assurer l’intégrité de leurs activités. Il est important de limiter l’utilisation de cette technologie aux cas où elle est nécessaire et de veiller à ce que les travaux produits soient toujours soumis à un examen approprié.
Par conséquent, les universités doivent être vigilantes et prendre des mesures pour lutter contre l’utilisation abusive de la technologie ChatGPT et ses impacts néfastes. Les étudiants et les chercheurs doivent être protégés des abus possibles, et la qualité de l’enseignement et de la recherche doit être maintenue.
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Que faire de cet outil ?
Les six paragraphes précédents ne furent pas rédigés par moi, mais par l’outil ChatGPT, basé sur les plus récentes techniques d’apprentissage profond et de l’intelligence artificielle générative, capable de produire des textes plus ou moins complexes à partir d’instructions simples. J’ai pour ma part écrit la requête suivante : « Écrivez une lettre d’opinion de 600 mots pour le journal Le Devoir sur les bouleversements de ChatGPT dans le monde universitaire. Rédigez une réflexion critique incluant les concepts d’accélération sociale, de néolibéralisation des universités et de capitalisme de surveillance. »
En tant que professeur d’université intéressé par les transformations du capitalisme avancé, les innovations sociales et l’impact complexe des nouvelles technologies, me voilà devant une question très concrète qui touche directement ma profession : que faire de cet outil qui aura des impacts directs sur les méthodes d’évaluation et d’enseignement ?
Outre la question du plagiat, ces outils peuvent aussi être utilisés par les professeurs pour accomplir une diversité de tâches. J’ai moi-même fait quelques tests, en créant un syllabus en quelques secondes, en générant des questions pour un examen final et en répondant à ces mêmes questions avec une qualité d’écriture supérieure à celle des étudiants de premier cycle universitaire, et ce, en moins de trois minutes.
Cela m’a immédiatement fait penser au concept d’obsolescence de l’homme du philosophe Günther Anders. Voici une autre réponse fournit par ChatGPT : « Le terme d’obsolescence de l’homme de Günther Anders fait référence à une menace potentielle à la survie des êtres humains à cause de l’arrivée des nouvelles technologies. Bien que cette notion puisse s’appliquer à tous les domaines de la vie, elle prend tout particulièrement un sens pour les professeurs d’université avec l’arrivée de ChatGPT. En effet, ChatGPT est un système d’intelligence artificielle qui peut simuler un professeur et fournir des leçons à des étudiants. Cela pourrait conduire à une forme d’automatisation des cours et à la perte d’emplois pour les professeurs d’université. »
Voilà une réponse quelque peu inquiétante. Pour ma part, je crois que le statut des professeurs à temps plein n’est pas menacé à court terme. Contrairement à une idée reçue, les récentes innovations de l’intelligence artificielle n’entraînent pas une perte massive d’emplois, mais plutôt une reconfiguration du travail et des techniques d’exploitation (notamment du « travail numérique »), via une externalisation et parcellisation des tâches, prolongeant les mécanismes d’automatisation du capitalisme industriel d’autrefois.
Faire rentrer le génie dans sa lampe
Néanmoins, l’introduction de l’IA dans les milieux scolaires et universitaires soulève plusieurs questions fondamentales. Si ces outils peuvent être utilisés de façon pédagogique dans certaines circonstances, et que les professeurs devront adapter leurs méthodes d’évaluation en conséquence, il serait réducteur d’adopter une approche « adaptative » limitée à la responsabilité individuelle. C’est l’ensemble des écoles primaires et secondaires, des cégeps et des communautés universitaires qui est touché.
De plus, les innovations technologiques émergent et se diffusent dans un contexte socio-économique déterminé, en l’occurrence le capitalisme, lequel influence les usages possibles des outils algorithmiques. Il ne serait pas étonnant que la précarisation de l’enseignement soit intensifiée, de même que les pressions à la publication. Dans notre système capitaliste basé sur les impératifs de productivité et de performance, ce genre de technologies serviraient surtout à intensifier la dynamique de compétition entre étudiants, professeurs et chercheurs.
Par ailleurs, on aura beau « interdire » l’usage de ces outils en classe, la technologie est maintenant disponible, gratuite, facilement accessible et utilisable, de sorte qu’on ne pourra revenir en arrière ou faire rentrer le génie dans sa lampe.
Nous voilà donc placés devant une réflexion fondamentale sur les finalités de l’enseignement et sur la pertinence (ou l’obsolescence) des méthodes utilisées dans le milieu de l’éducation. Pour être franc, je reste pantois. Si les profs ne sont pas encore obsolètes pour le moment, il n’en demeure pas moins qu’une bonne partie de nos outils d’évaluation actuels sont bons pour la poubelle.