L’aveuglement volontaire du premier ministre en matière de langue

Le manque de vigilance des pouvoirs publics quant à l’application de la loi 101 est l’une des raisons qui expliquent le déclin du français au Québec.
Olivier Zuida Le Devoir Le manque de vigilance des pouvoirs publics quant à l’application de la loi 101 est l’une des raisons qui expliquent le déclin du français au Québec.

François Legault a affirmé vouloir « carrément arrêter le déclin du français au Québec, en particulier à Montréal ». Pour y arriver, il a trouvé la solution : n’accueillir que des immigrants parlant français. Car, c’est bien connu, le déclin du français au Québec dépend en bonne partie des immigrants ! Comment peut-on être aveugle ou avoir des préjugés à ce point ?

Le déclin du français au Québec, et à Montréal de façon plus accélérée, ne date pas d’hier et n’est pas dû à l’arrivée d’immigrants non francophones, mais au manque de vigilance des pouvoirs publics quant à l’application de la loi 101, à l’impérialisme culturel des États-Unis d’Amérique, au bilinguisme des institutions culturelles et commerciales et… à la faillite relative de l’enseignement du français dans l’ensemble du système scolaire québécois, dont la francisation des immigrants, secteur où (c’est un cas véridique) on a prétendu enseigner le français à 38 personnes de langue et de culture différentes par Zoom il y a un an…

Désormais, où que l’on aille à Montréal, on constate le bilinguisme institutionnel : Musée des beaux-arts de Montréal, Orchestre symphonique, cinémas, etc. On ne compte plus les enseignes commerciales où l’anglais domine, comme celle d’Optical Center, au coin des rues Laurier et Saint-Urbain, ou en anglais uniquement. Vous téléphonez chez votre dentiste, votre coiffeur dont la clientèle anglophone ne dépasse pas les 5 %, et le bilinguisme est de mise. Vous ouvrez la radio de Radio-Canada, et combien d’erreurs de langue peut-on déceler en une heure, et quel est le pourcentage de chansons en anglais sur les ondes ?

Gare à vous si vous ne comprenez pas ou ne parlez pas bien l’anglais, car il se peut qu’on ne puisse vous servir au dépanneur ou à la station-service. Vos amis et collègues utilisent des mots anglais qu’on n’entendait pas il y a cinq à dix ans. On reçoit des newsletters. Rien n’est plus cool que de parler anglais ou de parsemer son langage de mots anglais. Après tout, c’est un challenge !

Pire encore, combien de jeunes francophones sortent du secondaire, diplôme en poche après 11 ans de scolarisation, tout en étant des analphabètes fonctionnels : difficulté à comprendre des textes relativement simples, incapacité à rédiger un texte cohérent dans un français convenable. Quant à l’expression orale, il m’arrive d’avoir du mal à comprendre les jeunes de mon quartier, Rosemont. Faut-il rappeler que le ministère de l’Éducation (MEQ) fait la promotion de l’immersion en anglais dès la fin du primaire, moment crucial de l’apprentissage du français ?

Des examens de français bidon

 

Depuis trente ans, chiffres à l’appui, je dénonce l’examen de français de 5e secondaire parce que le barème de correction permet aux élèves, qui ont bachoté pendant des mois sur la forme et la structure du texte demandé à l’examen, de le réussir haut la main. Pour la correction du lexique et de la ponctuation, on est on ne peut plus laxiste. Quant à l’orthographe, la moyenne nationale dépasse rarement les 60 % depuis 30 ans. Et on pourrait dire la même chose pour l’Épreuve uniforme de français de la fin de cégep. Et que dire de l’hécatombe de la première passation du TECFEE (Test de certification en français écrit pour l’enseignement) ?

Le premier ministre sait-il combien d’heures par semaine les élèves sont censés apprendre le français oral et écrit à l’école et ce que ce nombre d’heures représente dans la semaine d’un enfant francophone ? Car il est clair que ce n’est que dans les heures de cours de français que l’élève est invité à faire des efforts pour développer ses compétences langagières en français ; dans les autres cours et les activités scolaires, c’est plus qu’aléatoire. De plus, le respect des normes et règles du français écrit n’est évalué que dans les examens de français écrit, soit trois ou quatre fois par année scolaire, et non dans ceux de compréhension de textes, où on peut écrire n’importe comment, car ça ne compte pas, selon les directives du MEQ.

Des collègues universitaires me disaient récemment qu’ils ne se sentaient plus en droit de reprendre un étudiant lorsqu’il faisait des erreurs en français à l’oral en classe. Mais comment peut-on apprendre une langue et la pratiquer convenablement sans des efforts constants dans tous les contextes et avec le soutien de qui la maîtrise ?

Bref, que le gouvernement regarde donc dans sa cour pour trouver les solutions au déclin rapide du français dans les institutions, les lieux publics et privés, et, au premier rang, dans le système d’éducation. Que son nouveau ministre de l’Éducation prenne les mesures nécessaires pour que l’usage d’un français correct soit une priorité pour tous les élèves et les personnels scolaires dans l’ensemble du système, ce que l’ex-ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, devenu ministre de la Langue française, n’a pas fait, malgré nos demandes répétées.

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