Netflix, l’archéologie et l’obscurantisme

Image tirée d’une bande-annonce de la série «À l’aube de notre histoire», présentée sur Netflix.
Capture d'écran Netflix Image tirée d’une bande-annonce de la série «À l’aube de notre histoire», présentée sur Netflix.

Depuis le 11 novembre dernier sévit sur Netflix la série À l’aube de notre histoire (Ancient Apocalypse, en anglais), création du journaliste à sensation Graham Hancock qui prétend, force effets spéciaux à l’appui, révéler au grand public la vérité cachée sur notre espèce.

En l’occurrence, il affirme que tous les accomplissements des civilisations préhistoriques sont le fruit de connaissances qui leur ont été transmises par les rescapés d’une civilisation avancée globale originelle anéantie par un cataclysme causé par l’impact d’une comète à la fin de la dernière période glaciaire, il y a près de 12 000 ans. Le problème ? Il n’y a strictement aucune preuve archéologique ou géologique pour soutenir ce scénario que Hancock n’invente même pas lui-même, mais ressert plutôt à la sauce d’aujourd’hui en puisant dans un bassin d’idées désuètes aux relents racistes, dont certaines ont plus de 100 ans.

D’un point de vue scientifique, il est plutôt simple de démontrer que Hancock et ses acolytes sont dans le tort. Ce à quoi je veux m’attarder ici concerne plutôt le cadrage désolant de la série et ce que cela implique pour la pensée critique dans notre société. Plusieurs diront sûrement qu’il ne s’agit que de simple divertissement et qu’il est absurde de s’en formaliser. Or le fait est que ce type de programmation, qui se prétend documentaire, contribue en fait à un appauvrissement net de la qualité de la capacité du grand public de discerner le vrai du tendancieux, le crédible du faux.

La stratégie principale d’émissions comme Ancient Apocalypse et autres Nos ancêtres les extraterrestres (diffusée ici sur Historia) est d’affirmer à répétition et sur la base de quelques données soigneusement choisies que les scientifiques dissimulent activement la vérité à leur public. L’impact concret de cette posture est de perpétuer l’idée d’un « nous contre eux », qui clive le discours entre bons et méchants, sans laisser d’espace à la nuance et aux zones grises, qui sont les pierres angulaires d’une perspective critique aiguisée.

De là, il n’y a qu’un pas à railler de prétendues élites, qui méprisent le « petit peuple », railleries qui sonnent d’autant plus faux que les apôtres médiatisés de la pseudo-archéologie sont souvent de fortunés auteurs, animateurs télévisés ou conférenciers. C’est d’autant plus vrai pour l’archéologie puisque ce sont généralement les pseudo-archéologues qui jouissent de plus de visibilité médiatique ; rappelons que Nos ancêtres les extraterrestres en est à sa 18e saison…

Une vision corrompue de la démarche scientifique

Outre ce caractère divisant inhérent, un autre élément du discours pseudo-scientifique qui appauvrit la pensée critique est le renversement du fardeau de la preuve. Ce procédé consiste en affirmer quelque chose qui va à l’encontre du consensus scientifique et d’insister sur le fait qu’il appartient aux scientifiques de démontrer que cela est incorrect, plutôt que d’apporter un ensemble cohérent de preuves ou de nouvelles données pour soutenir cette affirmation.

La pseudo-science s’appuie donc sur une vision corrompue de la démarche scientifique dans laquelle on cherche des éléments, généralement des données partielles et hautement sélectionnées, pour soutenir une idée X plutôt que de développer des hypothèses de travail dont on teste la crédibilité face à l’ensemble des données disponibles.

Inutile de dire qu’une telle approche mine la confiance que peut avoir le grand public dans l’entreprise scientifique et contribue à créer un terreau de crédulité fertile dans lequel foisonnent les informations de qualité douteuse et les fausses nouvelles. Cela est attisé par le fait que la pseudo-science ne laisse aucune place à l’autocorrection, qui est une des composantes centrales de la science : les données et hypothèses doivent être évaluées et éprouvées par nos pairs avant d’être acceptées. Il n’est donc pas surprenant de voir que l’argumentaire de Graham Hancock dans cette nouvelle série est à quelques détails près le même aujourd’hui que dans ses premiers livres, publiés il y a près de trente ans.

Que faire, donc, face à l’attaque en règle contre la rigueur de pensée que constituent ces émissions ? Il est important de prendre comme point de départ le constat que des affirmations extraordinaires devraient reposer sur des données tout aussi exceptionnelles, chose qui fait cruellement défaut à la série de Netflix.

Il faut donc encourager le public intéressé par le passé de notre espèce à se renseigner sur le contexte dont proviennent les observations sur lesquelles se fondent les idées véhiculées ces émissions. Outre une abondance de contenu bien vulgarisé disponible en ligne, des cours d’archéologie et sur la pensée critique sont aussi enseignés dans nos universités. Cependant, entre Netflix et un cours au bac, facile de voir lequel va atteindre l’auditoire le plus important. La lutte continue.

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