Ne laissons pas mourir C-11

Le projet de loi C-11, modifiant notamment la Loi sur la radiodiffusion sur le chapitre de la diffusion continue en ligne, fait actuellement l’objet de discussions au Comité sénatorial permanent des transports et des communications, après une deuxième lecture au Sénat. Ce projet de loi déchaîne les passions sur les réseaux sociaux et fait l’objet d’opinions fortes et très divisées. Si ce projet de loi est éminemment perfectible, nous voulons néanmoins affirmer la nécessité qu’il y a d’atteindre les principaux objectifs qu’il se donne, objectifs absolument cruciaux pour le Canada.
Premièrement, il faut insister sur l’importance du projet de loi C-11 comme instrument de modernisation de la politique canadienne de radiodiffusion, qui a été énoncée initialement en 1991, alors qu’Internet n’en était qu’à ses débuts. Face à la convergence des médias traditionnels et numériques depuis ce temps, il est essentiel d’adapter la politique canadienne de radiodiffusion ainsi que les pouvoirs de l’organisme de réglementation de la radiodiffusion, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), pour mieux refléter l’écosystème hétérogène des communications et de la production culturelle issue de la transformation numérique de notre société.
C’est pour cette raison que la mise à jour de la politique canadienne de radiodiffusion a pour objectif d’inclure les entreprises en ligne dans cette dernière, en particulier les services de vidéo à la demande comme Netflix ou Disney+. Le CRTC pourra prendre diverses ordonnances, imposant entre autres « la proportion des émissions […] de langue originale française » et « la mise en valeur et la découvrabilité des émissions canadiennes et des services de programmation canadiens ».
Chaque entreprise devra en outre « contribuer à la réalisation des objectifs de la politique, de la manière appropriée en fonction de la nature des services qu’elle fournit ». Le projet de loi renforce ces pouvoirs d’ordonnance en accordant au CRTC le pouvoir d’imposer des sanctions administratives pécuniaires aux personnes et aux entreprises qui enfreignent des dispositions de la Loi ou de ses règlements.
Deuxièmement, le projet de loi C-11 propose des modifications à la politique de radiodiffusion, attendues depuis longtemps, qui reconnaissent le rôle fondamental que joue le système de radiodiffusion dans la promotion et la valorisation des formes d’expression culturelle produites et créées par les Canadiens dans tout leur pluralisme.
Nous soulignons ici quelques exemples. D’abord, le projet de loi fait référence explicitement à l’actualisation des objectifs d’équité, de diversité et d’inclusion, en s’assurant que le système réponde davantage aux besoins de Canadiens issus des communautés racisées ou qui représentent la diversité en raison de leurs antécédents ethnoculturels, de leur statut socio-économique, de leurs capacités, de leur orientation sexuelle, de leur identité ou expression de genre ou de leur âge. Il va de soi que le fait de veiller à l’élimination des obstacles à la pleine participation de ces communautés à la diffusion en ligne de même que leur accès à cette dernière est particulièrement important.
Ensuite, le projet de loi C-11 vise à contribuer à la mise en oeuvre concrète de la politique « Vérité et réconciliation », en prévoyant l’offre d’une programmation en langues autochtones qui reflète les cultures autochtones (incluant les cultures inuites et métisses).
Enfin, le projet de loi en question cherche à favoriser l’épanouissement des communautés de langue officielle vivant en situation minoritaire du Canada et à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne, notamment en soutenant la production et la radiodiffusion d’émissions originales dans l’une ou l’autre langue.
Élan législatif
Nous sommes personnellement d’avis que la défense de la souveraineté culturelle du Canada doit se doubler d’une politique de défense de sa souveraineté numérique. En effet, C-11 fait indubitablement partie du plan ambitieux de la Charte numérique de 2020, qui vise à réglementer les technologies au Canada de façon adéquate. Dans cette veine, il importe de rappeler que la réglementation du numérique stagne au Canada. À tout événement, elle est trop lente comparativement à ce qui se passe chez les autres acteurs internationaux.
Il est amplement temps de transformer les orientations découlant de la charte en cause en lois, et de donner vie aux principes qu’elle postule et aux objectifs qu’elle fixe. Cela passe en particulier par plus d’appui en faveur des initiatives autochtones, de la programmation originale en français et de la représentation de la diversité canadienne.
Actuellement, le projet de loi impose aux entreprises étrangères l’obligation d’employer des ressources humaines canadiennes au maximum, du moins de manière prédominante, au même titre que les entreprises canadiennes. Néanmoins, C-11 prévoit que cela doit se faire « dans toute la mesure du possible », ce qui n’est pas suffisant pour respecter les orientations de la charte de 2020 et pour affirmer haut et fort la souveraineté numérique du Canada.
Quoi qu’il en soit, malgré ses défauts — défauts que l’on ne peut et ne veut pas nier —, le projet de loi C-11 constitue un pas dans la bonne direction. Il est, nous semble-t-il, urgent et important de ne pas laisser passer l’actuel élan législatif. Cela risquerait de reléguer aux oubliettes les enjeux de diversité et d’inclusion ainsi que de souveraineté culturelle et numérique que ce projet de loi promeut.
Les grands perdants d’un échec du projet de loi C-11 seraient à n’en pas douter les Canadiens eux-mêmes. Abandonner ce projet de loi ne doit tout simplement pas être une option.
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