Pourquoi n’y a-t-il pas eu de #MeTooInceste au Québec?

«Alors que le Québec est très souvent en avance sur la France en ce qui a trait aux luttes féministes, force est de constater qu’il a un train de retard en ce qui concerne les réflexions sur l’inceste dans l’espace public et médiatique», affirment les autrices.
Photo: Jung Yeon-Je Agence France-Presse «Alors que le Québec est très souvent en avance sur la France en ce qui a trait aux luttes féministes, force est de constater qu’il a un train de retard en ce qui concerne les réflexions sur l’inceste dans l’espace public et médiatique», affirment les autrices.

Il y a un mois, plusieurs médias québécois et internationaux soulignaient les cinq ans du mouvement #MeToo. À cette occasion, plusieurs articles ont été écrits sur le sujet, dressant un état des lieux du mouvement et de ses répercussions sur la manière de penser les violences sexuelles. Le livre de la journaliste d’enquête Amélia Pineda, Que reste-t-il de #MoiAussi ?, se penche spécifiquement sur le mouvement #MeToo au Québec. L’essai met en lumière les transformations qu’a suscitées le mouvement de dénonciation sur le travail journalistique et sur la capacité offerte aux journalistes de réaliser des enquêtes approfondies sur ces enjeux.

En rétrospective, le mouvement #MoiAussi tel qu’il s’est déroulé au Québec a permis certaines avancées, comme la création d’un tribunal spécialisé en matière de violence conjugale et sexuelle. Certaines personnalités publiques ayant fait l’objet de dénonciation ont perdu le soutien de leurs collègues et de leur milieu de travail, ce qui a mis fin à leur carrière artistique comme c’est le cas du rappeur Maybe Watson, ex-membre du groupe Alaclair Ensemble.

À de nombreux égards, le mouvement #MeToo a eu des répercussions plus grandes sur les personnes dénoncées au Québec qu’en France. Pour ne citer qu’un exemple, le comédien Gérard Depardieu a continué d’enchaîner les films et les apparitions publiques après avoir été mis en examen pour viol par la justice française.

#MeTooInceste en France

 

Alors que le Québec est très souvent en avance sur la France en ce qui a trait aux luttes féministes, force est de constater qu’il a un train de retard en ce qui concerne les réflexions sur l’inceste dans l’espace public et médiatique. Depuis l’hiver 2021 en France, le hashtag #MeTooInceste a fait son apparition. Plusieurs livres et podcasts traitant de l’inceste sont sortis, notamment le livre de Camille Kouchner, La familia grande, et le podcast de Charlotte Pudlowski, Ou peut-être une nuit.

Il y a quelques semaines, le livre collectif La culture de l’inceste, dirigé par Iris Brey et Juliet Drouar, est paru aux Éditions du Seuil. Les autrices y montrent comment le tabou entourant l’inceste ne concerne pas le fait de l’infliger, mais plutôt d’en parler. Un constat alarmant est fait par Iris Brey : « l’inceste est le point d’aveuglement de nos sociétés et de nos arts ». Tout autant que la France, le Québec n’y échappe pas.

Un paysage culturel qui ferme les yeux

 

Le cinéma et la télévision occupent une place importante dans le paysage culturel québécois et produisent des représentations sociales qui s’ancrent dans l’imaginaire collectif. Le franc succès de la série Chouchou, écrite par Simon Boulerice et diffusée sur les ondes de Noovo, illustre à quel point il est encore tabou de parler d’inceste et de pédocriminalité au Québec.

La série dépeint la relation amoureuse et sexuelle entre Sandrick (17 ans), un élève du secondaire, et son enseignante Chanelle (37 ans). En présentant à l’écran une situation d’exploitation sexuelle sous couvert de grande histoire d’amour, Chouchou perpétue l’idée très largement répandue que, derrière la pédocriminalité, il y aurait de l’amour. La relation de proximité entre Sandrick et Chanelle, qui en devient presque une relation mère-fils, fait écho à la définition légale de l’inceste, qui comprend dans certains pays comme la France, des violences commises dans le cadre de la famille élargie par une personne qui utilise sa position d’autorité.

Le personnage de Sandrick est calqué sur le mythe de l’enfant séducteur, selon lequel c’est l’enfant qui serait à l’origine des violences qu’il subit. La minisérie Martine à la plage, aussi écrite par Simon Boulerice, se base aussi sur cette idée que le désir sexuel vient de l’enfant et que c’est lui qui cherche activement à séduire l’adulte.

La nécessité de penser l’inceste au Québec

La diffusion de ces deux séries et l’absence de critiques négatives à leur égard sont révélatrices de l’incapacité collective à faire le lien entre la culture du viol et la culture de l’inceste. Et pourtant, les plus récentes statistiques concernant les violences sexuelles au Québec montrent que la majorité des victimes ont moins de 18 ans.

Selon les chiffres de 2016, 23,4 % des auteurs présumés d’infraction sexuelle seraient des membres de la parenté. Il apparaît clairement que les violences à caractère sexuel sont en grande partie des cas de pédocriminalité et qu’une partie importante d’entre elles sont des cas d’inceste.

Il nous apparaît nécessaire de penser les violences sexuelles dans leur ensemble et d’inclure des réflexions sur l’inceste au sein du mouvement #MeToo. Il est temps de reconnaître l’ampleur de l’inceste et de la pédocriminalité au Québec et de les montrer pour ce qu’ils sont vraiment : des violences commises sur des enfants et des adolescents non consentants.
 


Précision: Le passage de ce texte faisant référence à la définition légale de l'inceste a été reformulé après sa publication en ajoutant la référence à la France.

 

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