Divisions et contradictions soufflent un vent de nouvelle guerre froide

Après huit mois de guerre en Ukraine, la communauté des pays euro-atlantiques (États-Unis, Canada et Europe occidentale), de l’Asie (Japon, Corée du Sud) et du Pacifique (Australie et Nouvelle-Zélande) est entrée dans une nouvelle guerre froide qui l’oppose à la nébuleuse des États autoritaires et totalitaires que forment la Russie, la Chine, la Biélorussie, l’Iran, la Corée du Nord, la Hongrie et la Serbie.
Notre temps est donc marqué par un vent de nouvelle guerre froide (ou deuxième guerre froide) qui souffle sur le monde. Le trait particulier de cette nouvelle guerre froide par rapport à la précédente est qu’elle se déploie simultanément avec la guerre chaude en cours en Ukraine.
L’autre différence est que l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) n’accepte pas la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. L’OTAN s’oppose à la création d’une zone d’influence russe par l’usage de la force brute.
À un degré supérieur, cet affrontement et cette polarisation mondiale étaient bien visibles lors de la réunion de l’Assemblée générale de l’ONU tenue au mois de septembre dernier. À la même réunion, les États non alignés s’exprimèrent également, refusant de s’allier à l’Est ou à l’Ouest, l’Inde en tête, comme un écho lointain de la première guerre froide.
La déclaration de Brioni du 19 juillet 1956, proposée par l’Égyptien Nasser, le Yougoslave Tito, l’Indonésien Soekarno et l’Indien Nehru, marque l’origine du mouvement des pays non alignés, qui vise à se protéger de l’influence des États-Unis et de l’URSS. Le mouvement fut officiellement créé le 1er septembre 1961 à Belgrade, à l’époque capitale de la Yougoslavie titiste.
Dans le même esprit, rappelons que la première guerre froide commença le 5 mars 1946. Selon l’International Churchill Society, les historiens russes datent en effet le début de la guerre froide avec le célèbre discours de Winston Churchill prononcé dans l’enceinte de Westminster College, à Fulton, dans l’État du Missouri aux États-Unis : « De Stettin, dans la Baltique, à Trieste dans l’Adriatique, un rideau de fer est tombé sur le continent. »
Multipolarité coopérative
La dissuasion nucléaire empêcha que la guerre froide entre l’Est et l’Ouest ne dégénérât en une guerre conventionnelle et nucléaire planétaire.
La dissuasion nucléaire se fondait, implicitement, sur la reconnaissance de la zone de domination de l’Union soviétique acquise sur les États de l’Europe centrale et orientale, regroupés au sein du Pacte de Varsovie. C’est ce qui explique la passivité, voire l’acceptation, de l’alliance nord-atlantique occidentale, l’OTAN, lors de l’agression militaire de l’Union soviétique contre la Hongrie en 1956 et la Tchécoslovaquie en 1968.
La première guerre froide prit fin entre 1989 (avec la chute du mur de Berlin) et 1991 par la dissolution de l’Union soviétique. En l’occurrence, le plus important homme politique qui contribua à la fin pacifique de la guerre froide fut le secrétaire général (l’équivalent du président) de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev. Il fut secondé par les présidents américains Reagan et Bush. À notre avis, le fait d’avoir oeuvré activement à la fin pacifique de la guerre froide confère à Gorbatchev l’aura contestée de l’une des plus importantes figures politiques du XXe siècle.
Souvenons-nous : la fin de la première guerre froide permit la libération de l’Europe centrale, orientale et des États baltes de la domination soviétique. Durant la trentaine d’années suivantes, entre 1991 et 2022, ces États vécurent une période de prospérité extraordinaire dans le cadre de l’Union européenne et d’autres organisations internationales, ce que nous nommons la multipolarité coopérative.
C’est cette prospérité économique extraordinaire, allant de pair avec la liberté de la société civile, encadrée par un État de droit, qui incita l’Ukraine à tourner son regard vers l’Union européenne et la communauté euro-atlantique. Après la « révolution citoyenne » de Maïdan (2014), une majorité de citoyens ukrainiens et une partie de l’élite politique du jeune pays refusèrent de continuer à soutenir le capitalisme kleptocrate des oligarques d’inspiration poutinienne.
Chercher la guerre
Pendant que Gorbatchev s’efforçait de conclure la guerre froide de manière pacifique, un petit lieutenant-colonel du KGB, le service de renseignement central de l’Union soviétique, Vladimir Poutine, était en poste à Dresde, en Allemagne de l’Est. Il va sans dire que Poutine regretta la perte de l’influence mondiale de l’Union soviétique ; celle-ci fut d’ailleurs évidemment associée aux difficultés de la fin de sa première carrière d’officier.
Il appert aujourd’hui que Poutine a entièrement rejeté l’héritage politique démocratique, ouvert et transparent de Gorbatchev. Depuis qu’il a consolidé son pouvoir en Russie, Poutine a ainsi complètement renvoyé la politique étrangère de Gorbatchev aux oubliettes de l’histoire russe en cherchant, au contraire, par tous les moyens, guerre ouverte comprise, à reconstituer les sphères russes de domination dans les États successeurs de l’Union soviétique.
Le refus motivé de Poutine d’organiser les funérailles d’État de Gorbatchev et de ne se présenter qu’en personne devant sa dépouille révèle bien le mépris de l’homme du Kremlin, autant que la haine viscérale des Russes, à l’égard du dernier secrétaire de l’URSS et de sa politique étrangère. Rien d’étonnant à cela : la politique étrangère de Poutine, l’annonciatrice de la nouvelle guerre froide, est en contradiction active avec la politique étrangère de Gorbatchev. Cela durera aussi longtemps que Poutine restera au pouvoir en Russie.