Complaisances et apologies néofascistes dans nos médias

«Depuis l’arrivée au pouvoir de la néofasciste Giorgia Meloni et du parti Fratelli d’Italia, le 25 septembre dernier en Italie, les principaux journaux de la province ont servi de confortable tribune pour une dangereuse complaisance à leur égard», rapportent les auteurs.
Photo: Andreas Solaro Agence France-Presse «Depuis l’arrivée au pouvoir de la néofasciste Giorgia Meloni et du parti Fratelli d’Italia, le 25 septembre dernier en Italie, les principaux journaux de la province ont servi de confortable tribune pour une dangereuse complaisance à leur égard», rapportent les auteurs.

En 1937, le directeur du Devoir de l’époque, Georges Pelletier, rend compte avec admiration de l’Italie de Benito Mussolini au long de notes de voyage publiées en octobre et en novembre. Un pays, nous dépeint-il le 28 octobre, « redressé depuis 1920, parce qu’un chef s’est trouvé pour le prendre en main, le secouer, lui insuffler une volonté et parce qu’il a partiellement exécuté sa tâche gigantesque de réformer une nation à la hauteur d’un glorieux passé ».

« La force du régime fasciste, ce sont ses oeuvres », poursuit-il le 9 novembre, prenant soin de remarquer les quelques dangers du totalitarisme mais concluant, néanmoins, que « qui admire le fruit de cet effort tenace vers la reconstruction de tout un pays ne peut que souhaiter que le régime dure ».

Autre temps, certainement. Non pas en raison de la tentation fasciste, ou parce que dans le Québec des années 1930, cette complaisance carbure à l’anticommunisme, mais parce qu’à cette époque, les critiques antifascistes ne se font pas discrètes. « Qui les paie pour accomplir ce bel apostolat ? » demande le journaliste Flambeau en 1938 dans le journal L’autorité, au sujet non seulement de la « tournée admirative » de Pelletier, mais plus généralement, comme il l’écrit aussi en 1936 dans Le Canada, au sujet de nos « “bons” journaux, qui ne cachent pas leurs sympathies fascistes ». Autre temps, certainement, parce que tandis qu’aujourd’hui, les apologies du fascisme prennent leurs aises et brandissent tout autant la menace de la vilaine gauche, l’espace médiatique québécois leur laisse le champ libre.

Confortable tribune

 

Depuis l’arrivée au pouvoir de la néofasciste Giorgia Meloni et du parti Fratelli d’Italia, le 25 septembre dernier en Italie, les principaux journaux de la province ont servi de confortable tribune pour une dangereuse complaisance à leur égard. L’attrait de l’extrême droite, lit-on dans un formidable raisonnement circulaire, s’explique tout simplement par les dangers posés par une immigration non blanche. « La meilleure façon de dérouler le tapis rouge à l’extrême droite est d’ouvrir grandes les frontières et de laisser entrer plus d’immigrants qu’on est capable d’en intégrer », écrit Richard Martineau le 26 septembre, avant que son collègue Joseph Facal n’en rajoute le lendemain : « La réponse tient en un mot : immigration. »

Et Meloni comme son parti, nous dit-on aussi, ne seraient pas (néo ou post) fascistes, loin de là, d’autant plus que la véritable menace se situerait de toute façon à la gauche du spectre. « [Q]uoi qu’on pense de son programme », nous assure Christian Rioux le 30 septembre dans les pages du Devoir, Meloni affirme avoir pris ses distances par rapport au fascisme. Plus encore, nous explique-t-il dans sa charge contre le « théâtre antifasciste », le véritable problème du fascisme serait de toute façon son ancrage… à gauche.

Ce qui surprend ici n’est pas tellement, bien malheureusement, les positions exprimées et leur désolant manque de rigueur. Le lectorat le moindrement informé le sait : des décennies de recherche en sciences humaines et sociales indiquent, au contraire de ce qu’affirment nos chroniqueurs, que, sur fond de destruction néolibérale de nos services publics, conditions de vie et capacités collectives, le meilleur moyen d’ouvrir la porte à l’extrême droite est sans équivoque la normalisation de ses thèmes dont, tout précisément, la menace d’une « immigration massive » et autres pirouettes idéologiques inspirées du « grand remplacement ».

Il en va de même lorsque Christian Rioux s’évertue à « romantiser » le fascisme, dont s’éloignerait de toute façon Meloni, en brandissant en toute quiétude les propositions de Renzo de Felice, historien mort il y a près de 30 ans et dont les travaux s’inscrivent en amont d’une historiographie plus récente qui théorise depuis longtemps ce que Rioux ne semble pas maîtriser. De très nombreux travaux, dont ceux de Roger Griffin, permettent d’apprécier l’évolution de l’extrême droite qui, face à l’impossibilité d’exprimer des idées directement inspirées des partis fasciste et nazi de la Deuxième Guerre mondiale en raison de la condamnation unanime des atrocités en ayant découlé, s’engage dans un processus de normalisation et de légitimation dont les mouvements tels que la coalition dirigée par Giorgia Meloni sont le produit.

Ce qui surprend ici n’est donc pas tant, bien malheureusement, ces dangereux positionnements peu rigoureux, mais plutôt le champ libre à travers lequel ils se faufilent, l’apparence d’indifférence et l’absence de réponse émanant de l’écosystème médiatique québécois.

À l’exception d’un texte du journaliste Sam Harper sur le sujet, publié dans le média Pivot le 29 septembre 2022, nos « “bons” journaux, qui ne cachent pas leurs sympathies fascistes », ne rencontrent aucune résistance. Au moment même où l’extrême droite gagne du terrain partout, et que sa normalisation, ses apologies et la complaisance à son égard participent directement de la violence dont elle est le nom. Ne restons pas silencieux.

Réplique de Christian Rioux

 

Il ne s’agit pas de faire l’« apologie » de quoi que ce soit, mais de rappeler qu’avant d’être de droite ou de gauche, le fascisme est d’abord un projet révolutionnaire et totalitaire qui rejette les principes du libéralisme et de la démocratie parlementaire. Des thèses qu’on ne trouve nulle part dans le programme de Fratelli d’Italia, et encore moins dans celui de sa coalition de centre droit. Selon votre logique, Le Devoir, qui a soutenu l’effort de guerre à partir de 1940, devrait donc lui aussi être qualifié de néofasciste sous prétexte que celui qui en fut le directeur pendant 15 ans, Georges Pelletier, aurait admiré quelques réalisations de Mussolini ? Mais dans un discours militant qui va jusqu’à accuser tout l’« écosystème médiatique québécois » de « sympathies fascistes », quelle place reste-t-il pour la nuance ?

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