Briser la dichotomie entre santé mentale et santé physique

Plus que jamais, la santé mentale devrait être au coeur des engagements électoraux.
Photo: iStock Plus que jamais, la santé mentale devrait être au coeur des engagements électoraux.

L’énorme coût, tant économique que psychologique, des problèmes de santé mentale est connu depuis longtemps. Plus que jamais, la santé mentale devrait être au coeur des engagements électoraux.

Au Québec, alors que le gouvernement place l’accroissement de l’offre de services en santé mentale dans ses priorités, seulement 6,7 % des dépenses de programmes du ministère de la Santé et des Services sociaux sont consacrées à la santé mentale.

À titre de comparaison, la France et l’Angleterre y consacrent respectivement 15 % et 13 %. Quand on sait que le quart des consultations chez les médecins de famille au Québec est de nature psychologique, il apparaît évident que ces investissements minimes ne correspondent pas aux besoins de la population.

Comme l’accès à un médecin de famille est prioritaire pour les Québécois et les Québécoises, ne devrions-nous pas permettre aux professionnels de la médecine familiale de prendre en charge plus de patients en augmentant l’accès aux services en santé mentale ?

Lourdes conséquences

 

Il va sans dire que dans un système où les psychologues se dirigent majoritairement vers le privé, ce sont surtout les personnes le plus dans le besoin qui écopent du manque d’accès public. Les conséquences de ce système inapproprié sont omniprésentes. Au-delà des coûts économiques faramineux, cette mauvaise gestion impose une pression sur tout le système. Les visites aux urgences pour des problèmes associés à la santé mentale sont plus longues, plus fréquentes, et le système est mal adapté pour recevoir les patients concernés.

On assiste aussi à un important phénomène de portes tournantes, particulièrement avec l’implantation du Programme québécois pour les troubles mentaux et les difficultés reliées aux guichets d’accès en santé mentale. Plusieurs patients repartent insatisfaits et sans solution, ce qui exacerbe leurs difficultés sociales et psychologiques.

Les médecins doivent se rabattre sur la médication, tout en sachant qu’une évaluation psychologique approfondie suivie de psychothérapie serait nécessaire et contribuerait à ce que la personne retourne plus rapidement sur le marché du travail ou en classe.

Organismes communautaires

 

Enfin, les organismes communautaires sur qui on compte pour donner certains services depuis des décennies sont toujours sous-financés. Après une tentative échouée de transfert de patients du réseau public vers les psychologues au privé, le ministre Lionel Carmant a récemment distribué des bourses pour que des professionnels travaillant dans le réseau (ex. criminologues, psychoéducateurs) deviennent psychothérapeutes.

À première vue, cela semble une bonne idée. Toutefois, sachant qu’aucune solution n’est mise en place pour régler les problèmes d’attraction et de rétention des psychologues dans le réseau et que les psychologues offrent des services beaucoup plus larges que la psychothérapie, on constate rapidement qu’il ne s’agit pas d’une solution efficace. Et puis, qui fera le travail essentiel des criminologues et des psychoéducateurs s’ils sont occupés à faire de la psychothérapie ?

6,7 %
C’est la proportion des dépenses de programmes du ministère de la Santé et des Services sociaux qui est consacrée à la santé mentale au Québec, alors que le gouvernement place l’accroissement de l’offre de services dans ses priorités.

Le jeu de la chaise musicale n’est pas une solution ! Écoutons les Québécois et réglons le problème de fond. Quel parti sera prêt à faire les changements qui s’imposent ?

Un investissement qui rapporte

 

Chaque dollar investi en santé mentale pourrait se traduire par un retour estimé entre 1,78 $ et 3,15 $. La Coalition des psychologues du réseau public québécois propose un plan impliquant l’embauche de 450 psychologues dans le secteur public, accompagné d’un rattrapage salarial pour stimuler le recrutement, qui ferait épargner 228 millions de dollars par année en visites chez les médecins de famille, en visites aux urgences et en hospitalisations.

Améliorer l’accès aux services en santé mentale et l’accès aux psychologues dans le réseau public, en voilà une belle façon d’augmenter l’accessibilité des médecins de famille, de réduire le temps d’attente dans les urgences et d’économiser de l’argent ! Il est temps de briser la dichotomie entre la santé mentale et la santé physique.

Les problèmes de santé mentale ont des répercussions qui sont bien réelles chez une grande partie de la population. Il est grand temps de leur accorder l’importance et le financement qu’ils méritent. Améliorons l’accès public aux services en santé mentale et réglons les problèmes majeurs d’attraction et de rétention des psychologues dans notre réseau public.

Le Québec peut être fier du caractère public et équitable de l’accès aux soins de santé. Pourquoi est-ce que la santé mentale devrait faire exception à cette philosophie ?

* Ce texte est signé par:

Catherine Serra Poirier, psychologue, vice-présidente liaison de la Coalition des psychologues du réseau public québécois 
Karyne Pelletier, médecin et conseillère des Médecins Québécois pour le régime public 
Connie Scuccimarri, psychologue, administratrice de la Coalition des psychologues du réseau public québécois 
Stan Kandelman, médecin et conseiller des Médecins Québécois pour le régime public 
Jenilee-Sarah Napoleon, psychologue, vice-présidente secrétaire par intérim de la Coalition des psychologues du réseau public québécois
Noémie La Haye-Caty, médecin résidente et conseillère des Médecins Québécois pour le régime public 
Youssef Allami, psychologue, administrateur de la Coalition des psychologues du réseau public québécois 
Élise Girouard-Chantal, médecin résidente et conseillère des Médecins Québécois pour le régime public 
Xavier Gauvreau, étudiant en médecine et conseiller des Médecins Québécois pour le régime public 
Loredana Marchica, psychologue, responsable des communications de la Coalition des psychologues du réseau public québécois
Lauréanne Dussault-Desrochers, médecin résidente et conseillère des Médecins Québécois pour le régime public 
Marc-André Pinard, psychologue, administrateur de la Coalition des psychologues du réseau public québécois 
Camille Pelletier Vernooy, médecin résidente et conseillère des Médecins Québécois pour le régime public 
Joanie Tremblay-Pouliot, médecin et conseillère des Médecins Québécois pour le régime public 
Pierre Fontaine, étudiant en médecine et conseiller des Médecins Québécois pour le régime public 
Geneviève Richer, psychologue 
Juliette Monnier, étudiante en médecine impliquée dans le milieu communautaire 
Valérie Labbé, pédiatre 
Sébastien Trinh, psychologue 
Stéphanie Sylvain-Roy, neuropsychologue 
Jean-François Tourigny, médecin résident et conseiller des Médecins Québécois pour le régime public 
Catherine Chapados, neuropsychologue 
Céline L’Ecuyer, productrice et scénariste du film desviesavivre.ca 
Christian Lafleur, producteur et scénariste du film desviesavivre.ca 
Isabelle Corriveau, neuropsychologue 
Cinzia Marchica, médecin en Otolaryngologie, Chirurgie de la tête et du cou 
Danit Nitka, psychologue 
Annie Rousseau, psychologue

Ce texte fait partie de notre section Opinion qui favorise une pluralité des voix et des idées en accueillant autant les analyses et commentaires de ses lecteurs que ceux de penseurs et experts d’ici et d’ailleurs. Envie d’y prendre part? Soumettez votre texte à l’adresse opinion@ledevoir.com. Juste envie d’en lire plus? Abonnez-vous à notre Courrier des idées.

À voir en vidéo