Pénurie de personnel enseignant ou de conditions de travail décentes ?

Les travailleuses et travailleurs de l’éducation réalisent un mandat de plus en plus complexe, avec de moins en moins de ressources, et dans des conditions extrêmement précaires, observent les autrices.
Photo: Pietro Masini Associated Press Les travailleuses et travailleurs de l’éducation réalisent un mandat de plus en plus complexe, avec de moins en moins de ressources, et dans des conditions extrêmement précaires, observent les autrices.

En cette rentrée scolaire, la « pénurie » du personnel enseignant se fait sentir. Le système éducatif québécois peine à trouver des enseignants pour pourvoir les postes. Mais pourquoi donc ? L’enseignement est pourtant considéré comme un « bon » métier fiable et intéressant. Alors pourquoi une pénurie ? Nous proposons une piste de réflexion parmi tant d’autres.

La situation actuelle dans le réseau de l’enseignement n’est pas une fatalité, mais plutôt le résultat des choix politiques des dernières décennies. Rappelons qu’il y 40 ans, dans un contexte de crise des finances publiques, le gouvernement péquiste de René Lévesque avait procédé à une série de décrets ayant particulièrement ciblé le personnel enseignant. Si la réduction de 20 % des salaires et la grève de 1983 — sévèrement réprimée — ont alors marqué l’imaginaire, il y avait également là le début d’une précarité structurelle qui a durablement marqué les conditions d’emploi.

En 1981 et 1982, des milliers d’enseignants et enseignantes ont été touchés par des suppressions de postes et des mises en disponibilité. Ces derniers sont alors assignés à la dernière minute à de nouvelles tâches, jusqu’à 50 kilomètres de chez eux, dans des domaines où ils ne sont pas formés et sans soutien pédagogique adéquat. En somme, le gouvernement a fait le choix de privilégier les économies ponctuelles plutôt que la stabilité du personnel, renonçant à des expertises et à du professionnel qualifié.

À cette précarisation se sont ajoutés une complexification et un alourdissement de la tâche dès le début des années 1980. Dans une volonté de réduire les budgets alloués à l’éducation, les heures de travail du personnel enseignant ainsi que le ratio d’élèves par groupe ont été augmentés. Dans un désir d’intégration pour tous, le gouvernement a mis en place une politique d’adaptation scolaire afin d’intégrer les élèves en situation de handicap ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage (HDAA) dans les classes régulières, sans toutefois fournir aux enseignants les ressources ou la formation adéquates suffisantes. Le personnel professionnel et de soutien s’est vu ballotté d’une école à l’autre, avec de moins en moins de temps pour offrir un suivi individuel aux élèves. Or, la politique de l’adaptation scolaire, régulièrement reformulée et corrigée depuis, demeure un enjeu central de l’intégration au travail des nouveaux enseignants ainsi que du maintien en emploi de ceux et celles en poste.

En ce qui concerne les nouveaux enseignants en début de carrière, la moitié d’entre eux partent dans les cinq premières années. Aux conditions complexes décrites s’ajoute un processus d’embauche laborieux marqué par le hasard, parsemé de suppléances et de petits contrats éclatés, souvent dans des matières hors du champ de formation, que plusieurs commencent. Ce processus d’entrée dans le métier, qui se fait souvent sans soutien, implique que plusieurs n’ont pas encore acquis les compétences pour faire face à l’organisation du travail d’enseignement.

Cette précarité implique aussi de nombreux changements de classes, de niveaux ou d’école s’étalant sur de nombreuses années. Pour plusieurs, cette voie d’entrée dans le métier inclut une mise à disposition de leur temps, une surcharge de travail, alors qu’ils se voient souvent accorder les tâches les plus complexes en raison du système d’ancienneté. Ainsi, plusieurs enseignants sont plongés « tête première » dans des classes dites « régulières » qui n’en sont plus en raison de la politique de l’adaptation scolaire.

À ces difficultés s’ajoutent notamment les nombreuses formes de violence auxquelles plusieurs font face, tant physiques (recevoir des coups, se faire mordre, se faire cracher dessus, etc.) que psychologiques (se faire insulter par un élève ou un parent). Dans ce contexte, les enseignants subissent rapidement une surcharge de travail et vivent un désillusionnement hâtif face à ce métier. Ainsi, alors que plusieurs choisissent cette profession pour le lien privilégié à l’élève, finalement, il s’agit plutôt de survivre au jour le jour avant de changer de « branche ».

Les travailleuses et travailleurs de l’éducation, en somme, réalisent un mandat de plus en plus complexe, avec de moins en moins de ressources, et dans des conditions extrêmement précaires, tout en voyant leur autonomie professionnelle réduite. Qui plus est, les réformes néolibérales des dernières décennies tendent également à projeter le poids de la réussite des élèves sur chaque enseignante et chaque enseignant, en niant l’impact des facteurs structurels à l’oeuvre. Dans ce contexte, il semblerait plutôt nécessaire de parler d’une « pénurie » de conditions d’emploi et de travail décentes que d’une « pénurie » d’enseignants. L’enseignement demeure un très beau métier, mais un rattrapage important s’impose en matière de conditions de travail.

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