La Révolution française et le Canada

Le 10 août 1792, la prise des Tuileries par le peuple insurgé entraîne la chute de la monarchie en France. Cet événement marque une radicalisation de la Révolution qui se traduit par la proclamation de la République, l’exécution du roi et, plus tard, l’instauration du gouvernement révolutionnaire.
L’événement du 10 août a un retentissement mondial, exacerbant les tensions entre la France et les monarchies européennes, tout en inspirant diverses actions novatrices. Le Canada n’échappe pas à cette onde de choc que plusieurs reçoivent assez positivement.
Si les Canadiens avaient été modérément réceptifs aux trois lettres que leur avait adressées le Congrès continental américain de 1774 à 1776, les invitant à former leur propre corps de représentants, la situation évolue au cours des années 1780. Un groupe de jeunes intellectuels influencés par les Lumières européennes se forme autour de l’imprimeur des adresses du Congrès, Fleury Mesplet (1734-1794), et de son nouveau journal, la Gazette de Montréal.
Ce « cercle des Lumières » veut lutter contre les préjugés et la tyrannie, tout en prônant l’égalité des droits et une juste représentation politique. Dès 1789, le périodique montréalais appuie les avancées révolutionnaires françaises, un soutien que l’on retrouve aussi, dans une moindre mesure, à la Gazette de Québec, qui publie tout de même une Pièce patriotique faisant l’éloge des principes portés par la Révolution (28 janvier 1790).
Mézière, un Canadien républicain
Ainsi, tous ne pensent pas comme l’évêque de Québec, Jean-François Hubert (1739-1797), qui condamne durement les idées révolutionnaires, ou comme le seigneur Philippe Aubert de Gaspé (1786-1871), qui blâme a posteriori dans ses Mémoires les « démocrates » canadiens.
Un jeune homme nommé Henry-Antoine Mézière (1771-1846) se démarque en particulier par ses positions progressistes. Collaborateur de la Gazette de Montréal depuis 1788, il y défend les idées « éclairées », se tournant peu à peu vers le républicanisme. En mai 1793, il décide de partir pour les États-Unis afin d’y rencontrer Edmond-Charles Genêt, ambassadeur de la République française aux États-Unis, venu chercher de l’aide auprès des Américains et, potentiellement, soulever les Canadiens contre l’Empire britannique afin d’affaiblir cette monarchie qui lutte contre son pays.
Mézière désire approcher l’émissaire français afin de lui soumettre un mémoire qu’il a rédigé : Observations sur l’état actuel du Canada et sur les dispositions politiques de ses habitants. Le démocrate canadien y affirme que son peuple admire la nouvelle République et qu’il est mûr pour la révolution : « Je jure que les Canadiens aiment les Français ; que la mort du tyran Capet n’a indisposé que les prêtres et le gouvernement qui craignent la transplantation d’une guillotine en Canada. » Il croit — un peu candidement — que les Canadiens « n’auront aucune répugnance à secouer le joug de leur tyran hébété » et demande à la France de lancer un appel afin de précipiter l’insurrection.
Le représentant français accède à cette requête et fait publier, à l’automne 1793, une brochure intitulée Les Français libres à leurs frères les Canadiens, authentique appel à la révolution sur les rives du Saint-Laurent. Le texte insiste sur les avantages d’une telle action qui apporterait la liberté pour le Canada, la démocratie, l’abolition des privilèges et des titres de noblesse, la libéralisation du commerce et la liberté de culte.
Le pamphlet circule au Québec durant l’hiver 1793-1794 où il est bien accueilli par les démocrates et une partie de la population. Sa bonne réception inquiète monseigneur Hubert qui demande aux prêtres de combattre en chaire les idées révolutionnaires, alors que le gouverneur général, lord Dorchester, impose la dénonciation et la condamnation des « séditieux ».
Il faut dire que suivant la diffusion du pamphlet de Genêt, des troubles politiques éclatent au Canada, sous forme d’émeutes à Québec et à Montréal contre le despotisme britannique et la loi sur la milice (printemps 1794). Une tendance démocratique, voire révolutionnaire, défendant les idées républicaines françaises, existe alors au Canada, qui n’est pas qu’un feu de paille puisque des troubles se produisent à nouveau en 1796, à la suite des victoires militaires remportées par la République française, dans un esprit anti-seigneurial.
Les idées « éclairées » de Mesplet et radicales de Mézière trouvent leur continuité chez certains membres du Parti canadien (fondé au début du XIXe siècle) et surtout chez les patriotes républicains de 1837-1838. La déclaration d’indépendance du Bas-Canada, rédigée en février 1838 par Robert Nelson (1793-1873), résonne particulièrement avec les idées avancées par Genêt dans son adresse aux Canadiens.
En somme, il est intéressant de constater comment, dès les années 1780, existe une communauté de penseurs démocrates à Montréal, dont les idées s’accordent avec celles des révolutionnaires français. Une partie d’entre eux défendent même des idées républicaines radicales, sans se couper de la population canadienne.
Bien qu’elles soient combattues par les autorités coloniales britanniques et le clergé, et qu’elles restent minoritaires, ces idées alimentent diverses révoltes dans les années 1790, avant d’inspirer les démocrates du XIXe siècle. Comme quoi la vie des idées était bien agissante au Canada à l’époque des « révolutions atlantiques » et que tous ne baignaient pas dans le conservatisme.