Série L’été, c’est fait pour penser | En équilibre complice sur le fil de la pensée

Chaque semaine de l’été, Le Devoir vous entraîne sur les chemins de traverse de la vie universitaire. Une proposition à la fois savante et intime, à cueillir comme une carte postale pendant la belle saison. Nouvelle escale : une conversation intime entre la lauréate du Prix du mérite — Relève étudiante, Charlotte Mouron, et sa professeure, Mélanie Vachon, sur le savoir, sa transmission, l’émulation.
L’arrivée de l’été m’a souvent insufflé un sentiment convoité de liberté, une tranquille impression de me désenchaîner. La saison chaude coïncide avec la fin des classes, et avec elle se dégage plus d’espace pour la spontanéité, les rencontres, la culture, les passions.
C’est que, même si mes apprentissages en psychologie ne cessent de me fasciner et si les relations que j’y noue me transforment, il vient un seuil où les bancs d’école confinent ma pensée et inhibent ma créativité. Quand on rassemble une centaine d’étudiants dans un amphithéâtre devant un enseignant, la transmission du savoir ne passe souvent que d’une tête experte à cent têtes apprenantes. Je me trouve rarement invitée à explorer, à innover, à aller au-delà d’un plan de cours. Comme ces examens de « par coeur » qui réduisent parfois l’apprentissage à la simple assimilation de notions. Finalement, est-ce qu’on pense « pour » moi ?
Sur ces mêmes bancs d’école, j’ai toutefois fait l’heureuse rencontre de la professeure Mélanie Vachon — elle est arrivée comme une brise estivale porteuse, qui m’a amené ce profond sentiment d’agentivité.
En tant que professeure de psychologie à l’université, je suis d’avis que « penser » est au coeur du travail qui me passionne. D’ailleurs, « penser » à l’université reprend tout son sens dans l’occasion unique d’échanges avec les étudiants. Pour moi, le summum de l’enseignement ne signifie pas tant de transmettre une pensée, ni même de transmettre une capacité à penser. Au contraire, il s’agit de penser « avec » les étudiants, à partir de leurs préoccupations, me laissant transformer par ce qu’ils auront eux aussi à m’apprendre. C’est précisément le type de dynamique réciproque que je tâche d’établir avec les étudiants, avec la conviction profonde qu’à leur contact unique, j’ai la possibilité de croître comme professeure, comme personne.
C’est dans ce contexte que j’ai fait la rencontre marquante de Charlotte Mouron, alors qu’elle assistait à mon cours de psychologie humaniste et existentielle à l’UQAM, à l’automne 2020. Le contexte était loin d’être idéal : plus de 125 étudiants sont inscrits, et nous en sommes à notre première expérience d’enseignement virtuel. Pourtant, la magie a opéré, et Charlotte a répondu à bras ouverts à mon invitation de « penser ensemble ».
Je me suis jointe au projet de recherche de Mélanie, réalisé auprès de personnes endeuillées en contexte de pandémie, dans le but d’y rédiger une thèse de spécialisation. Au coeur de leurs témoignages résilients, les participants nous exprimaient un besoin fort que soit reconnue la tragédie vécue, en particulier lors de la première vague de la COVID-19. Ils lançaient un appel pressant à ce qu’on se souvienne collectivement, afin qu’il n’arrive plus jamais d’être coupés les uns des autres à ce moment ultime de la vie.
J’ai tout de suite senti que Mélanie m’accueillait dans une relation d’horizontalité. Il est vrai qu’elle détient une expertise scientifique et un parcours professionnel remarquable qui font d’elle une mentore précieuse. Mais son mentorat est d’autant plus épanouissant dans ce qu’il prône et ce qu’il incarne : l’authenticité, la curiosité mutuelle ainsi que la confiance sincère en notre qualité d’être. C’est sur ce rapport d’équité avec ses étudiants qu’elle a installé un cadre sécurisant et de soutien, qui m’a permis d’oser mon chemin et de suivre mon impulsion créative.
L’invitation de Mélanie à «penser ensemble» dépasse même le cadre universitaire. Si elle m’a transmis une valeur fondamentale, c’est d’aller à la rencontre de l’autre et de se soutenir suivant les principes des «communautés compatissantes».
Ainsi, Mélanie m’a donné la liberté de réaliser un film qui puise dans nos connaissances en recherche, sensibilise le public à la réalité du deuil pandémique et répond aux besoins exprimés par la communauté concernée. Elle m’a soutenue dans cette mobilisation artistique qui décloisonne le savoir universitaire et matérialise les articles scientifiques rédigés sur le sujet.
Tout cela n’aurait pu voir le jour sans Mélanie. Mais, étonnamment, elle est restée en recul et n’a pas mené ce projet. C’est en étant disponible et confiante, en tendant sincèrement l’oreille et en pensant avec nous, qu’elle nourrit notre pouvoir d’agir et d’imaginer les choses autrement. Lao Tseu cerne avec justesse l’essence de ce mentorat enrichissant : « A leader is best / When people barely know that he exists / Of a good leader, who talks little, / When his work is done, his aim fulfilled, / They will all say, / We did this ourselves ».
L’invitation de Mélanie à « penser ensemble » dépasse même le cadre universitaire. Si elle m’a transmis une valeur fondamentale, c’est d’aller à la rencontre de l’autre et de se soutenir suivant les principes des « communautés compatissantes ». C’est de se concevoir comme des partenaires égaux et de se porter collectivement responsables du bien-être et de la qualité de vie de chaque membre de la communauté. C’est de se sentir sincèrement concerné par l’altérité, être un allié.
Si la liberté de penser a trop souvent été mise à mal dans notre monde universitaire ces dernières années, notre travail en lien me rappelle que penser à l’université peut aussi devenir un espace relationnel dans lequel adviennent beauté et créativité.
Le deuil pandémique sur lequel nous travaillons ensemble nous oblige à nous poser des questions complexes sur l’existence au quotidien. En échangeant sur une expérience aussi fondamentalement humaine que la mort et la vie, la relation entre professeure et étudiante laisse nécessairement de l’espace pour le dévoilement et les remises en question. Par son ouverture et son humanité, Mélanie m’a rappelé qu’avant toute chose, l’université est d’abord un espace relationnel.
J’ai moi-même hérité de la confiance d’une mentore exceptionnelle dans mon parcours. Ainsi, Charlotte, t’offrir ma confiance, mes intuitions, mon émerveillement et mes réflexions, afin que tu puisses toi-même fleurir, contribue à redonner un sens profond non seulement à mon rôle de professeure, mais aussi à ma propre vie. Si la liberté de penser a trop souvent été mise à mal dans notre monde universitaire ces dernières années, notre travail en lien me rappelle que penser à l’université peut aussi devenir un espace relationnel dans lequel adviennent beauté et créativité. Tel est mon souhait pour toutes ces occasions estivales de penser.
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