Le Québec brille par son mutisme à Avignon

Maintenant que le Festival de théâtre d’Avignon vient de baisser son rideau, il me paraît opportun de dresser un bilan de la situation en ce qui a trait à la plus récente présence du Québec sur la scène d’un événement décrit avec emphase comme « l’une des plus importantes manifestations internationales du spectacle vivant contemporain ».
Après avoir été annulé en 2020, année où la pandémie avait joué les premiers rôles, et après une reprise en demi-teinte en 2021, le Festival d’Avignon a réussi à effectuer un retour (presque) à la « normale » pour son édition 2022, qui s’est terminée samedi.
À l’affiche cette année, près de 1600 pièces de théâtre, spectacles de danse, concerts et autres performances artistiques, dont une quarantaine dans le cadre de la 76e édition du « In » (le festival officiel hautement subventionné), à laquelle il convient évidemment d’ajouter le nombre effarant de 1540 spectacles en tous genres présentés dans le cadre de la 56e édition du « Off » (le festival non officiel et indépendant).
Pas moins de sept spectacles mettant en vedette des compagnies québécoises étaient à l’affiche du Off, sans compter qu’une production canadienne y était également à l’honneur. Or, toutes ces troupes, sauf une, ont mis l’accent sur des performances scéniques ou acrobatiques. Comme par hasard, toutes — à l’exception, encore une fois, de celle mettant en scène le texte d’un auteur connu — ont bénéficié du soutien du Conseil des arts du Canada, les compagnies québécoises ayant par ailleurs obtenu l’appui financier du Conseil des arts et des lettres du Québec, voire de la délégation générale du Québec à Paris et de la Ville de Québec pour certaines d’entre elles.
Que l’argent des contribuables québécois et canadiens permette à nos artistes de faire valoir leurs talents à l’étranger, personne (ou presque) n’y trouvera sérieusement à redire. Mais ce qui me chiffonne dans tout ça, c’est de constater que ces subsides publics servent essentiellement à subventionner… le silence !
Degré zéro de l’écriture
Pourtant, il n’y a pas si longtemps encore, Avignon accueillait Le NoShow, création collective dans laquelle de jeunes comédiens québécois avaient eu le culot de faire savoir publiquement que les fonds mis à la disposition des arts de la scène par les pouvoirs publics et les partenaires privés étaient tout bonnement inadéquats, voire franchement dérisoires. C’était en 2017.
Depuis, du moins jusqu’à cet été, le théâtre « traditionnel » avait repris ses droits dans le Off. Ainsi, en 2018, nulle autre que Lorraine Pintal, directrice du Théâtre du Nouveau Monde, y présentait une adaptation sobre mais pleine de fraîcheur du célèbre roman de Réjean Ducharme L’avalée des avalés. Même Louise Marleau faisait alors partie de la distribution : elle y incarnait la mère de Bérénice Einberg, le personnage principal.
Cette année-là, La peau d’Élisa, de Carole Fréchette, présente dans l’auditoire, était aussi à l’affiche du Off — quoique dans une mise en scène de Catherine Anne, directrice d’un théâtre… parisien ! Mentionnons de même que le metteur en scène et comédien québécois Christian Bordeleau, qui vit et travaille à Paris depuis vingt ans, a pris part de façon répétée audit festival,y présentant à trois reprises, soit en 2012, en 2013 et en 2015, À toi pour toujours, ta Marilou, de même que, en 2013 et en 2014, C’t’à ton tour Laura Cadieux, toutes deux de Michel Tremblay.
Bordeleau avait également mis en scène, en 2015, L’été des Martiens, une comédie dramatique signée Nathalie Boisvert. Citons encore Antioche, de Sarah Berthiaume, drame qui établit un parallèle entre la révolte, il y a 2500 ans, d’Antigone et « la révolte d’une jeunesse qui se dresse devant les absurdités d’un monde devenu irrespirable », dans une production du Théâtre Bluff datant de 2019.
À l’image de la société dans laquelle elle baigne, la relève théâtrale québécoise et canadienne donne aujourd’hui l’impression, aussi bien sur la scène nationale que sur la scène internationale, d’être à court d’idées nouvelles, de gesticuler pour ne rien dire pour la simple raison qu’elle n’aurait plus de message pertinent à adresser à nos compatriotes et au reste de la planète. À moins qu’elle n’ait fait le choix de se taire de peur, en appelant un chat un chat, de s’attirer les foudres des censeurs et autres gardiens autoproclamés de l’orthodoxie langagière qui sévissent de nos jours sur Internet et dans toutes les sphères de la société.
À l’ère de la rectitude politique et, plus particulièrement, du wokisme, qui succombe volontiers à la tentation totalitaire, plus personne n’ose apparemment courir le risque d’être expulsé du domaine public, de crainte de perdre ainsi ses soutiens culturels, sociaux… et surtout financiers !
À l’ère de la rectitude politique et, plus particulièrement, du wokisme, qui succombe volontiers à la tentation totalitaire, plus personne n’ose apparemment courir le risque d’être expulsé du domaine public, de crainte de perdre ainsi ses soutiens culturels, sociaux… et surtout financiers !