René Lévesque et sa Gaspésie

Gaspésien d’origine, René Lévesque a toujours manifesté de l’intérêt pour la péninsule et de l’affection pour le peuple gaspésien. Bien des traits de sa personnalité sont issus de son appartenance à la Gaspésie. Et cette dernière aura une empreinte sur sa pensée politique et sur l’importance qu’il accordera au développement du Québec et de ses régions.
La première tranche de sa vie passée à New Carlisle, qu’il qualifie d’« enfance sauvage » dans son autobiographie, le marque à jamais. Il y acquiert ce qu’il dira être une « ébauche d’identité ». La mer est pour lui une source de liberté et d’insouciance. Toute sa vie, il témoigne de son amour pour la mer. À côtoyer ses semblables, des Gaspésiens reconnus pour leur simplicité et leur côté humain, il hérite d’eux des traits de personnalité qui lui colleront à la peau pour toujours. « J’appris dès lors, dira-t-il, cette modestie qui ne devait plus jamais me quitter… »
Hyperactif et frondeur, le gamin impétueux au tempérament fort fait les cent coups et donne du fil à retordre à ses parents. Après avoir commis un méfait, il s’en désole par un rire sec en haussant les épaules sans rien dire, geste spontané et très caractéristique qu’il reprendra tout au cours de sa vie et qui finira par le rendre bien sympathique. On reconnaîtra le côté gavroche de son enfance dans le politicien anticonformiste qu’il sera.
Dans les années 1920, les deux tiers des habitants de New Carlisle sont anglophones. Cet establishment anglophone lui fait prendre conscience de graves inégalités en matière d’éducation entre les francophones et les anglophones. Ces derniers bénéficient d’un high school permettant aux jeunes d’entrer à l’Université McGill une fois leur onzième année terminée. Cette situation aura une grande influence sur sa détermination à favoriser l’accessibilité de l’éducation lors de son entrée en politique.
Sa base en anglais vient de sa fréquentation de l’école primaire bilingue et des jeunes anglophones de l’endroit. Il n’hésite pas à se bagarrer avec ces derniers, qui le traitent de pea soup ou de French frog, d’où sa réputation de frondeur. Toutefois, il ne gardera aucun ressentiment envers eux.
Bout du monde
De 1933 à 1938 (à l’âge de 11 à 16 ans), Lévesque fréquente le Séminaire de Gaspé, qu’il qualifie de « séminaire du bout du monde ». Déjà initié à la lecture des grands classiques par son père, il y peaufine son développement intellectuel et sa pensée politique. Il soumet aussi ses premiers écrits journalistiques.
Élève surdoué, ce premier de classe connaît des succès scolaires remarquables, remportant tous les premiers prix durant ses cinq ans d’études classiques. Il avouera plus tard que le Séminaire de Gaspé lui a transmis le goût de la discipline et de la rigueur. Aussi, Corinne Côté-Lévesque dira que c’est à ce Séminaire « que son esprit s’est ouvert au monde […] et que son sens de la justice et ses préoccupations sociales ont pris racine ».
Au contact des enseignants jésuites, Lévesque baigne dans l’effervescence nationaliste du temps. Il suit de près l’avènement en Gaspésie du mouvement coopératif prenant racine avec la création de coopératives agricoles et de pêche, le tout prôné par l’évêque de Gaspé, Mgr François-Xavier Ross, un fervent nationaliste.
Son éveil au journalisme prend forme dès ses 13 ans lorsqu’il participe à la rédaction d’articles dans L’Envol, le journal des étudiants du Séminaire. En mai 1936, il profite de la fête à Dollard pour rédiger, à 14 ans, « Pourquoi demeurer français ? ». On décèle l’influence de l’abbé Lionel Groulx dans ce réquisitoire en faveur du français. « En Amérique, c’est à nous que revient cette mission qui est de projeter sur l’Amérique impérialiste la lumière de la culture française, de la culture spirituelle que, seuls, nous possédons. »
Ce premier texte du jeune Lévesque à saveur nationaliste insiste pour que les siens prennent leur place dans les échelons les plus élevés de la société et de l’économie. « Réclamons […] les positions élevées qui nous sont dues. Réclamons-les et sachons les atteindre. Du jour où cela sera accompli, nous pourrons nous dire maîtres chez nous […]. Encourageons toujours de toutes nos forces les patriotes éclairés qui s’occupent de nos intérêts et les défendent, car de leur oeuvre dépend l’avenir de notre race en Amérique. »
Déjà, on perçoit le fondement de son credo politique qui le suivra par la suite. Il incite les Canadiens français à prendre leur place et à défendre leurs intérêts. À travers la qualité de son français et la clarté de ses opinions, on découvre un jeune Lévesque qui a les germes du grand journaliste et du grand politicien qu’il deviendra.
Premières armes
À l’été 1938, de retour à New Carlisle pour les vacances, Lévesque fait ses premières armes journalistiques au poste de radio CHNC de l’endroit, une radio bilingue. En plus d’être annonceur, il traduit les dépêches, du français à l’anglais et de l’anglais au français. Déjà à 15 ans, il a la piqûre de la communication électronique, qui en fera plus tard un grand communicateur et un « journaliste pédagogue ».
Après la Seconde Guerre mondiale, où il a fait l’apprentissage du métier de reporter, Lévesque poursuit son travail de journaliste. Dans une série d’articles qu’il publie dans Le Canada en 1947, il raconte sa Gaspésie. S’il est sidéré par l’incomparable beauté du paysage gaspésien, il déplore que les autorités politiques en fassent si peu pour développer cette région. « Percé… […] Voici la ruine de tous les adjectifs et de toutes les palettes. […] Une baie… elle ramasse toute la beauté de cette côte unique… […] Les paradis, ajoute-t-il […], il faut les mériter. De tous, la Gaspésie est sans doute l’un des mieux défendus : par la nature d’abord, mais aussi par la négligence des hommes politiques et des hommes tout court… »
Devenu premier ministre en 1976, il se réfère à sa région d’origine, longtemps négligée, pour faire du développement régional une priorité. Sous l’impulsion de son ministre Jean Garon, il cherche à moderniser l’industrie des pêches au bénéfice des régions maritimes du Québec, dont la Gaspésie.
Dans le cadre d’une politique de décentralisation de l’appareil gouvernemental vers les régions, il décide de loger à Gaspé la Direction générale des pêches maritimes. Le succès sera plutôt mitigé. Exprimant sa déception, Lévesque conclura qu’il est plus facile de faire monter une morue à Québec que de faire descendre un fonctionnaire à Gaspé.
À sa retraite, Lévesque se promet de visiter plus souvent sa chère Gaspésie. « J’irai la revoir, ma Gaspésie, plus souvent maintenant que me revoici citoyen ordinaire. Impossible d’en jouir tant qu’il fallait y aller “en” premier ministre. […] J’y suis pourtant retourné à quelques reprises ces dernières années. Assez pour voir qu’il s’est produit là comme ailleurs une accélération de l’histoire qui métamorphose et modernise mon éden du bout du monde, mais sans l’enlaidir, ce qui ne m’a pas surpris puisqu’il n’est pas enlaidissable. »
Comme la Gaspésie est située à l’entrée du Saint-Laurent et que les premiers contacts officiels des Français avec les Autochtones se sont déroulés à Gaspé en 1534, Lévesque considérera toujours sa région natale comme étant à l’avant-scène de l’histoire du Québec. Il le déclare de façon imagée à Gaspé, le 24 juillet 1984. « C’est ici que tout a commencé. La Gaspésie est au Québec ce qu’est le pouce à la main. »