«Who am I», qui suis-je?

« Who am I ? » demande Jean Valjean dans l’adaptation musicale des Misérables de Victor Hugo. Cette question lancinante, je l’ai longtemps éludée.
Ayant grandi au Québec, en tant que fils d’une famille immigrante née au Caire, j’ai tout fait pour me fondre dans la culture canadienne. Je me suis identifié comme Montréalais. Je voulais être vu et reconnu comme un Canadien pur race, à l’instar de tous les amis blancs que je me suis faits au primaire et au secondaire. L’assimilation signifiait, dans mon jeune esprit, nier et même si possible oublier — que je n’étais pas né ici.
Tout — de la langue parlée à la maison à la nourriture que nous mangions, et notre famille éloignée — me rappelait une origine qui me distinguait de mes jeunes amis blancs de Montréal. Avoir un nom différent et une couleur de peau légèrement différente sont des traits que je ne peux pas changer. Mais tout ce que je pouvais changer pour ressembler davantage aux autres « vrais » Montréalais, je visais à le changer. Au fil du temps, j’en suis arrivé à ne plus être égyptien, mais seulement québécois, du moins dans ma tête…
J’ai terminé mes études au Québec et j’ai commencé ma carrière ici, en 1990. Trente ans plus tard, je me retrouve à devoir répondre aux questions suivantes dans des contextes professionnels : « Comment vous identifiez-vous » ? « Vous considérez-vous comme issu de la “diversité” ? » Je n’avais jamais eu à répondre à de telles questions avant. Mais en cette ère de prise de conscience croissante des avantages et surtout de la nécessité de faire de la place à la diversité et à l’inclusion, de telles considérations sont devenues monnaie courante. Ce genre de question sur mon identité me rappelle la célèbre réplique de Jean Valjean.
Être comme les autres
Pendant les premières décennies de ma vie, j’ai voulu faire tout mon possible pour ne pas être étiqueté comme étant issu de la « diversité ». À l’école, à l’université et au début de ma carrière, je voulais juste être comme tous les autres étudiants, comme tous les collègues blancs ; c’est-à-dire avoir les mêmes chances, et pouvoir assumer les conséquences de mes décisions, les bonnes comme les mauvaises. Je ne voulais pas être pénalisé ou retenu parce que je manquais d’authenticité canadienne, que je n’étais pas un « pure laine ». Je ne m’attendais pas non plus à des faveurs.
Au fil des années, et grâce à la générosité de nombreuses personnes avec qui j’ai travaillé, j’ai pu profiter d’une formidable pratique du droit, exerçant aux plus hauts niveaux du pays, participant dans des opérations parmi les plus passionnantes pour des entreprises québécoises, conseiller des conseils d’administration sur certains de leurs enjeux les plus complexes, siéger en tant qu’administrateur à ces mêmes conseils d’administration, et même présider l’illustre Chambre de commerce du Montréal métropolitain.
Conscience de soi collective
On m’a récemment demandé de parler publiquement de diversité et d’inclusion, chose que j’avais toujours résisté à faire, et même détestée. Cependant, j’en suis venu à voir cet exercice comme une obligation et un devoir, au nom de ceux qui ont peut-être lutté avec les mêmes conflits internes que moi comme jeune grandissant au Québec. Que ce soit au Barreau du Québec ou en tant que co-porte-parole avec la mairesse Valérie Plante sur l’une de ses initiatives, je milite pour l’égalité des chances pour les nouveaux arrivants, les immigrants et les personnes racisées dans la société québécoise, en général, et dans sa communauté d’affaires en particulier.
Il me semble que nous sommes en retard par rapport à d’autres à cet égard. Une simple enquête sur les couloirs du pouvoir des entreprises à Toronto, New York, San Francisco, Boston, Vancouver, Londres, etc. nous montrerait que, bien que nous soyons une société extrêmement ouverte et généreuse, l’avancement des immigrants et des personnes racisées au Québec vers des postes de leadership et de pouvoir est rare et trop espacé.
Il m’est arrivé plus d’une fois, alors qu’une équipe de direction discutait de la nécessité d’avoir un « Québécois » dans l’équipe, de constater que je ne remplissais pas suffisamment ce critère à leurs yeux. Hum, comment dire ? J’ai vécu au Québec pratiquement toute ma vie et nulle part ailleurs ; ne suis-je pas Québécois ? Si je ne suis pas Québécois, alors qui suis-je ? J’ai vécu en Égypte seulement les trois premières années de ma vie, je n’y ai ni étudié ni travaillé, et je ne parle pas très bien sa langue.
Je me considère comme une seule et même personne : un très fier Québécois-Canadien-Égyptien. Je sais que je peux, avec beaucoup de fierté et de conviction, dire que je suis chacun de ceux-là. Être l’un ne veut pas dire que je ne peux pas être l’autre !
Un Québécois doit-il être pure laine ? Doit-elle être blanche ? Doit-il être né ici ? Peut-elle avoir un accent lorsqu’elle parle français ? Il y a encore trop de gens dans notre province qui pensent qu’on ne peut pas être un fier Québécois et en même temps avoir une autre identité. Je ne suis pas d’accord avec cela.
Je sais comment je me vois. Je peux répondre à la question « qui suis-je ». Mais, dans le but de créer une conscience de soi collective, je m’intéresse à la façon dont vous me voyez, moi, et les gens comme moi. À vos yeux, qui suis-je, qui sommes-nous ?