Défendre sans condition la liberté universitaire

Il ne fait aucun doute, à la lecture de ces conclusions, que l’Université Laval agit à l’encontre des libertés essentielles à la réalisation de la mission universitaire, selon les auteurs.
Photo: Source Université Laval Il ne fait aucun doute, à la lecture de ces conclusions, que l’Université Laval agit à l’encontre des libertés essentielles à la réalisation de la mission universitaire, selon les auteurs.

La suspension de Verushka Lieutenant-Duval pour cause d’utilisation du « mot en n » à l’Université d’Ottawa a fait couler beaucoup d’encre au Québec, à l’automne 2020. L’idée même que les universitaires devaient désormais taire certaines idées ou pratiques intellectuelles pour ménager la moindre susceptibilité de leurs étudiants a préoccupé de très nombreux citoyens, notamment des journalistes, professeurs, recteurs et décideurs publics. Pour protéger le Québec contre une telle attaque, le législateur a même créé une commission dont le rapport a mené à l’adoption d’une loi, le 7 juin dernier.

L’encre n’était pas encore sèche sur le document au moment où l’Université Laval a entrepris de bafouer cette liberté en suspendant pour huit semaines sans solde deux professeurs, Patrick Provost, professeur de biochimie, chercheur de renommée internationale et spécialiste de l’ARN, ainsi que le professeur de biologie Nicolas Derome. Raison invoquée : ils ont osé remettre publiquement en doute l’innocuité des vaccins contre la COVID-19 et la pertinence de la vaccination chez les enfants.

Dans le premier cas, un collègue offensé par les affirmations du professeur Provost a choisi de déposer une plainte à la direction de son université plutôt que de simplement discuter ou débattre publiquement avec lui, tel que le veut la tradition universitaire, reprenant ainsi la stratégie de censure adoptée par les étudiants de l’Université d’Ottawa un an plus tôt…

Au terme d’une enquête d’un comité piloté par un avocat, mais dont la composition n’est pas publique, l’administration de l’Université Laval a conclu à un biais de confirmation, à des interprétations partiales et, pire, à la livraison d’informations polarisantes et à un manque de responsabilité envers le grand public. Pourtant, il suffit de lire les grandes revues scientifiques telles que Nature ou Science pour trouver, presque à chaque livraison, des textes qui pèchent de la même façon sans que leurs auteurs ne soient, pour autant, suspendus à répétition par leur institution.

Il ne fait aucun doute, à la lecture de ces conclusions, que l’Université Laval agit à l’encontre des libertés essentielles à la réalisation de la mission universitaire. Or, contrairement à l’histoire de Lieutenant-Duval, l’affaire Provost a soulevé peu d’intérêt sur la place publique. Bien que les grands médias qui ont relaté l’affaire de manière descriptive conviennent du caractère controversé du renvoi, la plupart ne semblent pas aptes à présenter l’enjeu fondamental et social sans, en même temps, prendre position sur le débat sous-jacent qui relève pourtant de la science. Quant au monde politique, à part un appui solide à la liberté universitaire de la part de la ministre Danielle McCann, c’est aussi le silence radio.

Si certains jugentla liberté universitaire essentielle lorsque la position attaquée est celle qu’ils défendent, ils la pensent moins pertinente si le propos ne fait pas l’unanimité. Comme s’ils pouvaient alors s’arroger le droit ultime de décider de la vérité et de soutenir la censure sur tout ce qui pourrait la remettre en cause, une position à l’encontre de la méthode scientifique elle-même qui est manifestement celle de l’Université Laval.

Comme l’expliquait le philosophe des sciences Karl Popper, il y a près d’un siècle, on ne peut jamais démontrer une théorie (autre que triviale) en science, on ne peut que chercher constamment à la prendre en défaut. Quant au consensus, c’est lorsqu’il éclate que la science fait les plus grands bonds, comme l’a montré l’historien des sciences Thomas Kuhn. Favoriser cet éclatement n’est pas facile, toutefois : il faut justement cibler des faits choisis avec soin (biais de confirmation et interprétations partiales) et défendre leur pertinence contre le discours dominant (menant à des informations polarisantes). Bien sûr, chaque remise en question ne s’avère pas fondée, et de nombreux chercheurs pataugent dans l’erreur pendant des années. Il suffit d’un succès, pourtant, pour rappeler à quel point la méthode scientifique, qui ne peut que déranger, est essentielle au développement des savoirs.

Plus près de nous, les éthiciens organiques du gouvernement du Québec avançaient eux-mêmes en 2020, à propos de la pandémie : « la référence à “la science” ne peut être présentée comme source unique des décisions de santé publique, sans que soient indiquées en parallèle les principales zones d’incertitude et les raisons qui fondent la décision malgré les incertitudes, notamment les raisons politiques ».

Finalement, l’argument de l’administration de l’Université Laval quant aux manquements face au public se pose en contradiction directe de la politique des Fonds de recherche du Québec et des divers Conseils canadiens qui exigent que les travaux et interventions des professeurs soient accessibles au grand public pour que la science s’y déploie dans la plus totale ouverture. On ne peut à la fois protéger le public et lui donner plein accès à la science en marche.

C’est pourquoi la validité ultime des propos des professeurs Patrick Provost et Nicolas Derome ne saurait être au coeur de l’enjeu ici. Cette validité, souvent toute en nuances de gris, ne peut être réglée par une administration universitaire ou un comité anonyme piloté par un avocat, mais par un débat scientifique public qui risque de durer encore de nombreuses années.

À la lumière de ce qui précède et dans le respect de la loi 32 sur la liberté universitaire, nous demandons donc, sans égard à notre position sur la vaccination contre la COVID, à l’administration de l’Université Laval de reconnaître ses erreurs et de lever immédiatement la suspension des chercheurs Patrick Provost et Nicolas Derome.

*Ont cosigné cette lettre (par ordre alphabétique) :

Claudine Allen, professeure, Département de physique, de génie physique et d’optique, Université Laval

Guillaume Blum, professeur agrégé, École de design, Université Laval

Olivier Boiral, professeur titulaire, Université Laval

Yv Bonnier Viger, médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive, directeur régional de santé publique de la Gaspésie et des Îles et Professeur, Département de médecine sociale et préventive, Faculté de médecine, Université Laval

Pierre-Léo Bourbonnais Ph.D ing., associé de recherche et chargé de cours, Polytechnique Montréal

Gilles Bronchti, professeur titulaire, Département d’anatomie, Université du Québec à Trois-Rivières et président du syndicat des professeures et des professeurs de l’UQTR

Julien Bureau, professeur en sciences de l’éducation, Université Laval

Bonnie Campbell, professeure émérite, Département de science politique, Université du Québec à Montréal

Karine Collette, professeure en analyse de discours, Université de Sherbrooke

David Conciatori, professeur agrégé, Département de génie civil et de génie des eaux Université Laval

Alain Deneault, Université de Moncton

Daniel Desroches, professeur de philosophie, Collège Lionel-Groulx

Philippe Dubé, professeur associé, Département des sciences historiques, Université Laval

Myriam Ertz, professeure de marketing, Université du Québec à Chicoutimi

Marie Fall, professeure de géographie et coopération internationale, UQAC

Jean-Sébastien Fallu, Ph.D., professeur à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal

Louis Favreau, sociologue, professeur émérite, Université du Québec en Outaouais

Bernard Fruteau de Laclos, MD, professeur agrégé, faculté de médecine, Université Laval

Caroline Gagnon, professeure titulaire, Université Laval

Jocelyn Gagnon, professeur titulaire, spécialiste de l’efficacité de l’intervention en éducation physique et sportive, Université Laval

Laurence Guillaumie, PhD, professeure agrégée, Faculté des sciences infirmières, Université Laval

Audrey Groleau, Ph.D., professeure titulaire, Département des sciences de l’éducation, Université du Québec à Trois-Rivières

Alain Goupil, professeur, département de mathématiques et d’informatique, UQTR

Pierre J. Hamel, INRS

Claudine Jouny, enseignante en soins infirmiers au collégial

André Joyal, 4 fois vaccinés, professeur associé à l’UQTR

Amir Khadir, MD, Microbiologie médicale-infectiologie, Hôpital Le Gardeur

Caroline Laberge, médecin de famille, professeur de clinique Université Laval

Marie France Labrecque, professeure émérite, anthropologie, Université Laval

Paul-André Lapointe, professeur, Département des relations industrielles, Université Laval.

Frédéric Lasserre, professeur, département de géographie, Université Laval

Hélène Makdissi, professeure titulaire - Université Laval

Sylvain Marois, chargé de cours, Département des Relations industrielles Doctorant en Relations industrielles, Université Laval

Jean Michaud, professeur d’anthropologie, Université Laval

Louise Morand, Ph.D. Éducation, U. McGill

Normand Mousseau, professeur de physique, Université de Montréal

Patrick Mundler, professeur titulaire, faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation, Université Laval

Paul H. Naccache, professeur titulaire (à la retraite), Faculté de médecine, Université Laval

Dr Jean-Baptiste Paolini, anesthésiologiste CIUSSS-NIM, chargé d’enseignement clinique à l’Université de Montréal

Jean Paradis, retraité directeur général du Collège d’Alma

Lise Parent, professeure en sciences de l’environnement, Université TÉLUQ

Madeleine Pastinelli, professeure titulaire, Département de sociologie, Université Laval

Chantal Pouliot, professeure de didactique des sciences, Université Laval

A. Hadi Qaderi, enseignant en science politique au Cegep de Saint-Jérôme

Christophe Reutenauer, professeur de mathématiques, UQAM

Dany Rondeau, professeure de philosophie et d’éthique, Université du Québec à Rimouski

Alain Rouleau, professeur émérite, UQAC

Daniel R. Rousse, professeur titulaire, Département de génie mécanique, ÉTS

Jean Philippe Sapinski, professeur d’études de l’environnement, Université de Moncton

Bernard Saulnier, ing.

Lucie Sauvé, professeure émérite, Institut des sciences de l’environnement, Université du Québec à Montréal

Catherine Simard, professeure en didactique des sciences, UQAR

Hugh Thomas, professeur de mathématiques, UQAM, et titulaire d’une chaire de recherche du Canada.

Pier-Luc Turcotte, erg. PhD, professeur adjoint, Université d’Ottawa

Louise Vandelac, Ph.D. professeure titulaire, Département de sociologie et Institut des sciences de l’environnement, UQAM

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