Quel conflit entre la laïcité et le patrimoine religieux ?

Dans un article publié le 6 juillet 2022 sous le titre « Le congé de taxes des lieux de culte remis en question », Le Devoir nous apprenait que la Commission des finances de la Ville de Montréal suggère « que, dans le contexte de la laïcité de l’État, la Ville demande au gouvernement du Québec une compensation pour les taxes qu’elle ne peut percevoir des communautés religieuses », notamment pour les lieux de culte. Elle a tort. Les problèmes de fiscalité municipale ne peuvent se régler aux dépens de la préservation du patrimoine religieux et de ce qu’il représente pour la société.
Ce faisant, la Commission souscrit aux arguments de ceux qui croient que l’État devrait s’abstenir de financer la sauvegarde du patrimoine religieux ou de lui accorder quelque traitement fiscal favorable, et ce, en vertu du principe de la séparation de l’État et des religions.
Certains se demandent en effet, puisque la plupart des organismes de bienfaisance enregistrés à caractère religieux consacreraient, dit-on, toutes leurs ressources ou presque à des activités liées à la foi et au culte, où se trouve le « bénéfice public tangible ». Un éditorial paru dans ce journal le 8 juin 2019, intitulé « Fiscalité et religion : la neutralité s’impose » posait d’ailleurs la question.
Sans ces avantages fiscaux, il faut savoir que les autorités religieuses ne pourraient tout simplement plus subvenir à l’entretien du patrimoine religieux dont elles ont toujours la charge, ce qui devrait suffire à constater un premier « bénéfice public tangible ».
De plus, il est tout de même ironique de constater que de telles objections sont soulevées à ce moment-ci, lorsque l’on sait que les organismes de défense du patrimoine proposent d’étendre de tels avantages fiscaux aux propriétaires laïques de biens patrimoniaux, qui constituent toujours une charge particulière à ceux qui doivent en assurer la préservation.
Enfin, non seulement ces objecteurs de conscience font preuve d’insensibilité au fait religieux et aux besoins spirituels de plusieurs de leurs concitoyens, mais ils ne font pas de cas de la nécessité de préserver cet héritage pour la société dans son ensemble, sachant que le meilleur moyen d’y parvenir est d’assurer la vocation religieuse et culturelle de ce patrimoine, dont les retombées dépassent largement le seul cercle des fidèles.
Une question de cohérence
Au-delà de tous ces arguments, cependant, l’on oublie que la laïcité repose aussi sur le principe de la liberté de conscience et de religion, que l’État doit favoriser, non seulement en vertu de la Loi sur la laïcité de l’État et de la Charte des droits et libertés de la personne, mais aussi de la Loi sur la liberté des cultes, et de l’obligation du Québec de se conformer au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Il faut aussi ajouter qu’aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour européenne a consacré la liberté des États de contribuer au financement des cultes, autorisant une différence de traitement des cultes pour des motifs objectifs, historiques et raisonnables dans une société donnée, permettant l’attribution d’un impôt ecclésial résultant d’un concordat entre l’État et une confession religieuse, reconnaissant le principe de l’autonomie ecclésiale, affirmant que le financement du culte est par ailleurs le gage de l’exercice collectif de la liberté de religion, le droit européen se montrant flexible en appliquant un principe de subsidiarité, ce qui donne lieu à des solutions diverses en la matière d’un État à l’autre.
Tout cela devrait relancer la question de la nationalisation du patrimoine religieux du Québec. Si notre Loi sur la laïcité de l’État s’inspire du modèle français, il nous faudrait être cohérent, car ce modèle, depuis la Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, a confié la responsabilité des cathédrales à l’État et celle des églises paroissiales aux communes, conférant ainsi aux autorités civiles la responsabilité du patrimoine religieux français, la France nous devançant en effet tant en ce qui a trait à la gestion de son patrimoine religieux qu’en matière de laïcité, ayant démontré que ces deux notions n’étaient pas incompatibles.
Ce n’est donc pas vers moins de responsabilité à l’égard du patrimoine religieux que devraient tendre les municipalités, mais plutôt à en faire davantage, comme la Loi sur le patrimoine culturel les y invite depuis les dernières modifications à cette loi entrées en vigueur en 2021.
Au demeurant, la Loi sur la laïcité de l’État ne contient aucune interdiction au financement des cultes ni d’exception en ce qui a trait au financement et au traitement fiscal du patrimoine religieux.
La proposition de la Commission des finances de la Ville de Montréal, si elle était adoptée par la Ville de Montréal et le gouvernement du Québec, constituerait une violation flagrante des droits fondamentaux entourant l’exercice collectif de la liberté de religion et de leurs propres obligations à cet égard. Elle est irrecevable. En cela, nous saluons la dissidence à cette proposition d’Alan De Sousa et de Laurent Desbois, respectivement maires des arrondissements de Saint-Laurent et d’Outremont. Ainsi que l’écrivait l’honorable Clément Gascon dans l’arrêt Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville) de la Cour suprême du Canada, « […] le devoir de neutralité de l’État ne l’oblige pas à s’interdire de célébrer et de préserver son patrimoine religieux ».