Qui défend nos droits fondamentaux ?
![«Rappelons que la loi sur la laïcité écarte les 38 premiers articles de [la Charte québécoise des droits et libertés de la personne] adoptée par l’Assemblée nationale en 1975», écrit l'auteur.](https://media2.ledevoir.com/images_galerie/nwd_1295337_1005669/image.jpg)
Par la voie de son porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois, Québec solidaire a fait savoir cette semaine que si le parti gagnait les élections du 3 octobre prochain, le nouveau gouvernement modifierait la Loi sur la laïcité de l’État (« loi 21 ») pour permettre à tous les employés de l’État québécois de porter des signes religieux, exception faite des signes qui couvrent le visage ou empêchent la personne de bien faire son travail.
J’entends dire qu’en lisant cela, bien des militants libéraux se sont dit que telle aurait dû être la position du PLQ dès la première lecture du projet de loi. Malheureusement, les dirigeants du parti étaient alors en train de négocier leur « virage nationaliste » ; le parti s’est bel et bien opposé au projet de loi 21, mais de manière beaucoup plus timorée qu’il aurait dû le faire.
Québec solidaire adopte ici une position courageuse, quoi qu’en dise le chroniqueur Joseph Facal qui, dans les pages du Journal de Montréal, a parlé d’ « opportunisme crasse ». Adopter par principe une position impopulaire me semble être le contraire de l’opportunisme.
Voici donc le PLQ doublé par QS sur le plan de la défense des libertés individuelles ; qui l’eût cru ?
M. Nadeau-Dubois a ajouté qu’un gouvernement solidaire demanderait l’avis de la Cour d’appel du Québec concernant la Loi sur la laïcité de l’État : respecte-t-elle la Charte québécoise des droits et libertés de la personne ? Excellente idée.
Rappelons que la loi sur la laïcité écarte les 38 premiers articles de cette Charte adoptée par l’Assemblée nationale en 1975. Ces articles protègent par exemple le droit à la vie ; la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association ; le droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation ; le droit au respect de la vie privée ; et ainsi de suite. Ce recours abusif à l’article 52 de la charte québécoise (la clause dérogatoire) est un geste grave, d’autant plus que le projet de loi 21 a été adopté à la majorité simple, alors que la Charte l’avait été à l’unanimité.
Donc, bravo à Québec solidaire ! Les électeurs et électrices pour qui la protection des droits fondamentaux est quelque chose de crucial devraient-ils se diriger vers cette formation politique ? Malheureusement, les choses ne sont pas aussi simples. Car dans le cas du projet de loi 96 (sur la langue française), Québec solidaire n’a pas eu d’objection à ce que le gouvernement ait recours à la même clause de destruction massive. Du moins ses réserves, s’il y en avait, n’étaient pas suffisamment importantes pour empêcher QS de voter en faveur de ce projet de loi. Serait-ce qu’aux yeux des solidaires, la défense du français justifie qu’on déroge ainsi à un vaste pan des droits fondamentaux des Québécois ?
Après une valse-hésitation qui a duré des mois, le Parti libéral a finalement pris fermement position contre le projet de loi 96 et, notamment, contre l’utilisation de la clause dérogatoire. Toutefois, la période de tergiversations a été si longue que certains en sont venus à douter de la sincérité de ce positionnement de dernière minute.
En matière de droits fondamentaux, les principes et la jurisprudence sont clairs. Les chartes sont là pour protéger les droits des individus et des minorités contre les mesures discriminatoires. L’argument voulant qu’une initiative est appuyée par la majorité, utilisé à répétition par le gouvernement Legault, n’a aucune valeur : c’est justement pour empêcher que la majorité ne commette des abus que les chartes existent.
L’opinion voulant que les parlementaires, plutôt que les tribunaux, devraient avoir le dernier mot en cette matière n’est pas plus valable. Dans les faits, ils ont le dernier mot, mais à l’intérieur de certaines balises. Les chartes canadienne et québécoise permettent au Parlement et aux assemblées provinciales de passer outre, mais l’esprit de ces clauses dérogatoires veut que leur utilisation soit circonscrite et réservée aux situations exceptionnelles.
Quiconque croit en ces principes aurait dû s’opposer de toutes ses forces et dès le début aux clauses dérogatoires incluses dans les projets de loi 21 et 96. Le Parti libéral du Québec ne l’a pas fait. Québec solidaire ne l’a pas fait non plus. Cela étant, vers quelle formation politique devrait se tourner l’électorat soucieux de la protection des droits fondamentaux au Québec ? Cela devrait être un des principaux enjeux de la campagne électorale de l’automne.