L’Arabie saoudite, toujours au centre du jeu pétrolier mondial

Prévue du 13 au 16 juillet, la visite en Arabie saoudite du président des États-Unis, Joe Biden, fait beaucoup jaser dans le monde de l’énergie. M. Biden doit assurément marcher sur son orgueil en allant de l’avant avec cette visite auprès du dirigeant saoudien, Mohammed ben Salmane, qui a été, selon toute vraisemblance, associé au meurtre du journaliste saoudien Jamal Khashoggi en Turquie. Or, à la veille des élections de mi-mandat, le président américain a besoin de contrôler les prix du carburant, une vieille obsession politique aux États-Unis, et de juguler l’inflation qui gruge le pouvoir d’achat des électeurs.
Bien que son pays soit devenu un grand exportateur de pétrole, Joe Biden ne peut pas beaucoup compter sur l’industrie américaine pour aider sa cause. Celle-ci hésite à relancer sa production alors que la récession est sur toutes les lèvres. Les capacités de raffinage sont aussi déjà étirées au maximum, avec la faillite de plusieurs raffineries dues à la pandémie.
Dans ce contexte, et encore plus en situation de rareté de l’offre et d’explosion des prix, l’Arabie saoudite conserve, comme autrefois, toute son importance stratégique.
Les liens entre ce pays et les États-Unis en matière de pétrole sont bien connus. Ce sont les Américains qui ont découvert le pétrole du sol saoudien, notamment le mégagisement de Ghawar, dans l’est du pays, à la fin des années 1940. Ce sont eux aussi qui ont fondé la société Aramco, qui fait l’extraction et la commercialisation du pétrole de ce pays du golfe Persique. Cette entreprise est ensuite passée entièrement sous contrôle saoudien, en 1980.
Après la Deuxième Guerre mondiale, conscient de l’importance accrue du pétrole pour l’armée et l’économie, le président américain Franklin Roosevelt aurait scellé quelques semaines avant sa mort un gentleman agreement avec Ibn Saoud, premier dirigeant du royaume : cette entente est nommée par les historiens comme le pacte de Quincy, du nom du bateau américain où s’est déroulée la discussion dans le canal de Suez en 1945.
Un pacte fondé sur un échange de services bien simple : les États-Unis assurent la protection du régime dans cette région volatile, ce Moyen-Orient composé de pays dessinés par la colonisation française et britannique, en échange d’un approvisionnement fiable et stable en pétrole. Cette bonne entente est depuis lors un pilier de la politique étrangère de ces deux pays.
Pourquoi ce rôle dévolu à l’Arabie saoudite en matière d’énergie ? Pour deux raisons : ce pays dispose, et de loin, des plus grandes réserves de pétrole au monde et il a surtout la capacité, à bas coûts, de pouvoir mettre sur le marché d’importantes quantités de pétrole en un court laps de temps. L’Energy Information Administration définit cette flexibilité comme la possibilité, en moins d’un mois, de mettre sur le marché de bonnes quantités de pétrole sur une période prolongée, soit de plus de trois mois.
Cette flexibilité d’opération fait du royaume saoudien le pays le plus influent, et de loin, du secteur pétrolier mondial. D’autant que cette énergie fossile, responsable en grande partie du réchauffement planétaire, conserve malgré tout une place de choix dans le mix énergétique mondial malgré le progrès des énergies éolienne et solaire depuis une décennie
L’Arabie a démontré cette capacité de réaction rapide notamment en 1991, à la suite de la guerre en Irak. Quatre millions de barils par jour ont alors été retirés du marché, et l’Arabie et des partenaires du golfe Persique ont pu intervenir rapidement pour stabiliser l’approvisionnement mondial.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une telle capacité prend toute son importance. Mais il y a un hic : depuis que les États-Unis sont eux-mêmes devenus des exportateurs d’or noir, au cours de la dernière décennie, l’Arabie saoudite s’est rapprochée de la Russie, un exportateur de taille, dans la gestion des approvisionnements.
Les liens historiques avec les États-Unis conservent tout leur poids, mais Riyad a aussi l’oeil sur Moscou dans ses prises de décision. Or, la Russie a besoin de prix élevés pour financer sa guerre.
Les décideurs pétroliers saoudiens doivent donc manoeuvrer entre les intérêts du Kremlin, ceux de la Maison-Blanche et ceux des autres producteurs, qui ne sont que trop heureux d’empocher les généreux revenus qu’ils tirent présentement de cette ressource.
Avec cette visite, l’amitié historique entre les États-Unis et l’Arabie saoudite subit un test important. Son issue aura un effet sur les prix que les citoyens et les entreprises, éprouvés par l’inflation, paieront à la pompe.