L’hydrogène, une bouée pour le capitalisme fossile

«En somme, c’est le monde que le capitalisme fossile a contribué à façonner à son image au XXe siècle que l’hydrogène prétend pouvoir sauver», écrit l'auteur.
Photo: David Mcnew Getty Images via Agence France-Presse «En somme, c’est le monde que le capitalisme fossile a contribué à façonner à son image au XXe siècle que l’hydrogène prétend pouvoir sauver», écrit l'auteur.

L’hydrogène n’est pas une source d’énergie comme le sont les gisements d’hydrocarbures ou les flux d’énergie renouvelables que nous récupérons grâce à des technologies de conversion telles que les panneaux solaires, les centrales hydroélectriques ou les éoliennes. [Il] doit faire l’objet d’un processus de fabrication qui requiert une importante dépense énergétique. C’est donc un produit manufacturé qui stocke de l’énergie, à l’image d’une pile AA. […]

Toutes les manières de fabriquer de l’hydrogène comportent des coûts économiques importants, et surtout des pertes énergétiques exorbitantes. Au mieux, […] quand on l’injecte dans le réseau de distribution de gaz fossile comme souhaite le faire Énergir, la perte d’énergie s’élève à 50 % par rapport à l’énergie disponible avant sa fabrication. Au pire, dans le cas de la production de carburants de synthèse à base d’H2 analogues à ceux actuellement utilisés dans les moteurs à combustion interne à essence et les turboréacteurs utilisés dans l’aviation, les pertes énergétiques peuvent aller jusqu’à 90 %. L’électrification directe, quand elle est possible, offre toujours un meilleur rendement que le détour qui passe par la production d’hydrogène.

Des Idées en revues

Chaque mardi, Le Devoir offre un espace aux artisans d’un périodique. Cette semaine, nous vous proposons une version abrégée d’un texte paru dans la revue Relations, été 2022, no 817.

L’avantage de l’hydrogène est toutefois sa ressemblance, sur le plan physique, avec les combustibles fossiles qui ont rendu possible la croissance que nous avons connue depuis le milieu du XXe siècle : le pétrole et le gaz. Comme ces substances, l’hydrogène existe sous forme liquide ou gazeuse, coule dans des tuyaux, se stocke dans des citernes et brûle dans des moteurs.

Des obstacles de taille

 

Les défis purement physiques d’une transition qui passerait par l’adoption massive de l’hydrogène comme vecteur énergétique sont donc, d’une part, les coûts énergétiques énormes de sa production et, dans le cas de l’H2 dit « vert », le gaspillage d’une précieuse énergie renouvelable pour le produire. Mais plus pernicieux est le fait que l’essentiel du potentiel global d’hydrogène se trouve du côté de sa production à partir de gaz fossile (H2 « gris » ou H2 « bleu »), procédé nettement moins coûteux que la production d’hydrogène « vert » réalisé à partir de l’électrolyse de l’eau.

La promotion du développement d’une filière de production d’hydrogène comme forme d’énergie au Québec est donc liée à la manière dont on envisage la transition énergétique ici et ailleurs. […]

Pour le dire de manière lapidaire, l’hydrogène fait partie de ces solutions qui misent d’une part sur la conservation des manières de produire, d’agir et de consommer actuelles et, d’autre part, sur la mobilisation des institutions et pratiques économiques dominantes, celles-là mêmes qui sont les forces motrices du capitalisme fossile, premier responsable de la catastrophe climatique en cours. Les principaux promoteurs de la filière hydrogène à l’échelle mondiale sont en effet les grandes entreprises du secteur des énergies fossiles, et ce, pour trois raisons.

Premièrement, la production d’hydrogène est compatible avec la poursuite de l’extraction de gisements gaziers. Même si au Québec, nous pouvons prétendre produire un hydrogène plus vert que vert grâce à notre hydroélectricité, il serait naïf de croire que nos investissements publics et privés pour développer cette filière se feront en vase clos. Au contraire, ils se situent dans une conjoncture beaucoup plus large, où prédominent les acteurs qui favorisent l’hydrogène fossile […].

Deuxièmement, le développement de la filière hydrogène permet de sauver les actifs fossiles existants dans la mesure où il exige la mobilisation des infrastructures existantes de stockage, de transport (pipelines, bateaux-citernes) et parfois même de combustion d’énergies fossiles.

Troisièmement, et ici l’argument est décisif, l’adoption massive de l’hydrogène permettrait de perpétuer le métabolisme des sociétés construites autour de la combustion d’énergies fossiles en transformant tout simplement la nature du carburant qui serait brûlé. Il s’agit d’une substitution chimique qui nous donne le (faux) espoir que tout peut changer sur le plan des émissions de GES, sans que rien change véritablement.

En effet, le remplacement du gaz naturel, du mazout et du charbon dans les procédés industriels à haute température (fabrication d’acier et de ciment notamment) permettra de perpétuer une croissance économique qui a pour base la surconsommation de métaux ainsi que la surproduction de ciment. Les carburants synthétiques « carboneutres » à base d’hydrogène contribueront à sauver l’automobile individuelle et ses embouteillages, de même que le camionnage lourd servant pour l’essentiel à assurer la circulation rapide — just in time —, qui permet d’arrimer la surproduction à la surconsommation de marchandises. La machinerie y trouvera un carburant efficace nécessaire à la continuation du boom d’extraction minière qui nourrit en métaux critiques une transition par la « croissance verte ».

En somme, c’est le monde que le capitalisme fossile a contribué à façonner à son image au XXe siècle que l’hydrogène prétend pouvoir sauver… tout en sauvant les actifs, le pouvoir économique et le modèle d’affaires des Shell, BP, Exxon et Suncor de ce monde. Et tant pis pour la planète.

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