La valorisation ou la machine à saucisses selon le ministre de l'Éducation
![Les couleurs du ministre de l’Éducation [Jean-François Roberge] s’affichent clairement. La valorisation de l’éducation par les acteurs du réseau eux-mêmes peut bien être financée, mais le ministre n’a que faire des savoirs que possèdent les personnes à qui on remettra un brevet et qui enseigneront à tous, petits et grands, ayant ou non des difficultés scolaires, écrivent les auteurs.](https://media1.ledevoir.com/images_galerie/nwd_1277277_995424/image.jpg)
Au moment où tous se préparent à vider leur pupitre et leur casier pour ne refranchir les portes de l’école qu’en août, les annonces en éducation se multiplient. Nous sommes quatre professeurs contribuant à la formation des enseignants et enseignantes spécialisés du réseau, soit ceux qui interviennent auprès des élèves rencontrant des difficultés scolaires ou ayant des besoins particuliers. Trois nouvelles ont récemment attiré notre attention.
La première concerne la « Stratégie visant à valoriser le personnel scolaire 2022-2026 » lancée le 31 mai, qui comprend un budget de 140 millions de dollars. L’expression « personnel scolaire » est-elle un nouveau synonyme d’enseignants, de professionnels et de personnels de soutien ? Rappelons que leurs rôles s’avèrent fort différents pour soutenir l’apprentissage et la réussite des élèves, mais que la coordination fructueuse de leurs actions n’est pas toujours rendue possible. Veut-on ici valoriser la profession enseignante, le système d’école publique ou encore l’ensemble des acteurs ? Ce sont des sujets distincts, qui méritent tous une réflexion approfondie.
Une autre nouvelle porte sur un rapport du Protecteur du citoyen selon lequel l’offre de services éducatifs complémentaires (orthopédagogie, psychoéducation, orthophonie, éducation spécialisée, psychologie) souffre de sous-financement et impose des délais interminables aux parents, ce qui les pousse vers les services privés. Le ministre de l’Éducation rétorque qu’un nouveau modèle de financement permettra bientôt de libérer 375 000 heures de bureaucratie en faveur des services directs aux élèves. Ainsi, le réseau conserve le même nombre de professionnels, mais ils seront soulagés de certains formulaires.
Devant la complexité des besoins, le calcul comptable des heures de bureaucratie comme stratégie est une solution très réductrice. Comment renforcer réellement les capacités de l’école québécoise à soutenir ces élèves ? Il existe à ce chapitre des solutions bien documentées pour coordonner et organiser les interventions et les services autour des élèves.
Or, le ministre de l’Éducation évoque plutôt le succès de sa campagne « Répondez présent », qui invite tout titulaire d’un baccalauréat dans une discipline enseignée de près ou de loin à l’école à venir y travailler. Tout diplôme ou presque devient-il un gage de compétences pour enseigner ou pour assurer les services éducatifs complémentaires ? Une telle chose, acceptée en éducation, ne le serait pas ailleurs. Nous serions curieux d’entendre les membres des autres professions sur la question.
Aux yeux du ministre, les savoirs que possèdent les enseignants sont-ils à ce point si peu distincts de ceux de n’importe quel autre adulte possédant un autre baccalauréat ou, même, un diplôme de l’école secondaire ?
La troisième nouvelle ramène le comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE) à l’avant-scène, comité responsable d’analyser la qualité des programmes menant à la qualification légale d’enseigner. Une fois de plus, le ministre de l’Éducation donne son aval à de nouveaux programmes raccourcis sans obtenir la recommandation du CAPFE. Pourtant, ce comité est formé d’enseignants du primaire et du secondaire, d’universitaires et de professionnels scolaires, ceux-là mêmes qu’on cherche à valoriser. Cette décision, selon le ministère, fut prise dans « l’intérêt des Québécois ». Or, quand, au juste, les Québécois ont-ils demandé d’octroyer des brevets en faisant fi de la qualité de la formation ?
Les couleurs du ministre de l’Éducation s’affichent clairement. La valorisation de l’éducation par les acteurs du réseau eux-mêmes peut bien être financée, mais le ministre n’a que faire des savoirs que possèdent les personnes à qui on remettra un brevet et qui enseigneront à tous, petits et grands, ayant ou non des difficultés scolaires.
Tout comme pour l’ouverture massive des maternelles 4 ans, ce n’est pas la qualité qui est visée ici, mais bien la quantité, sans égard aux conditions de travail, de développement et d’apprentissage des élèves, ni à la formation rigoureuse que cela requiert. Pourtant, le ministre et son ministère viennent de publier un nouveau référentiel des compétences professionnelles à l’enseignement, qui évoque la complexité et l’importance des savoirs acquis en formation initiale sur les disciplines et les programmes de formation, la didactique et la pédagogie, les élèves et les processus d’apprentissage.
En somme, malgré ses politiques et ses stratégies officielles, le ministre veut produire beaucoup de « personnels scolaires » ayant un brevet, le plus rapidement possible, peu importe la qualité de la formation et les conditions d’entrée dans la profession.
Il en coûtera toujours moins cher, ensuite, de leur offrir une campagne pour les valoriser.