À coroner zélé, salut !

«La seule chose qui aiderait à guérir, à mon sens, c’est que cette responsabilité soit nommée, quand un proche hospitalisé décède à l’hôpital ou après avoir reçu des traitements», écrit l'autrice.
Photo: iStock «La seule chose qui aiderait à guérir, à mon sens, c’est que cette responsabilité soit nommée, quand un proche hospitalisé décède à l’hôpital ou après avoir reçu des traitements», écrit l'autrice.

Le mardi 7 juin dernier, je participais à l’enquête publique thématique du bureau du coroner sur le suicide. Quelle ne fut pas ma surprise de voir des membres de ma famille entrer dans la salle pour me signifier leur appui : mon parrain Yvan, mon cousin Pascal et sa fille Élodie. Quand mon tour est venu, j’ai fait face aux coroners et prêté serment pour leur parler de mon frère qui s’est enlevé la vie à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas le 11 juillet 2018. J’étais confiante et fière de ma famille, présente ici au nom de mon frère.

Quand j’avais l’âge d’Élodie, au cégep, j’ai écrit une lettre d’adieu à mon parrain et ma marraine ; j’avais décidé d’en finir. Le service de la poste a été efficace, et peu de temps après, en plein cours, une psychologue est venue interrompre mon professeur et m’a demandé de la suivre.

Ce n’est pas qu’une psychologue qui m’a sauvé la vie et donné envie de vivre pour toujours. Ce sont les membres de ma famille à qui j’avais écrit un adieu et qui ont, eux, décidé que ce n’était pas une bonne idée. Parce que je ne soupçonnais pas à quel point j’étais importante à leurs yeux. Je pensais que je n’étais importante pour personne. Il y a eu un événement familial, et tous se sont assurés que je serais là. Mon cousin m’a pris chez lui avec sa femme, et je me souviens qu’elle avait même repassé mes vêtements. J’étais bousculée dans mon univers où tout alors était expliqué et argumenté autour d’un « ça ne donne plus rien, ça ne me tente plus, c’est fini, je n’en veux plus de ma vie, tout le monde s’en fout anyway ».

Une personne qui perd pied a besoin de retrouver ses assises, et son histoire et sa famille peuvent lui rappeler son fil d’Ariane, celui qui lui a permis d’exister au départ.

Mais à entendre les préjugés des soignants et la stigmatisation des patients déclinés en de nombreux exemples par les témoins entendus mardi dernier, les vrais suicidaires ne semblent, hélas, pas toujours pris au sérieux par ces gens qui se disent pourtant sérieux.

Je suis enseignante, et un jour j’ai dit à une collègue, qui chialait sur le fait que les enfants écrivent mal, que ces élèves-là nous demandent d’être à la hauteur de notre métier : on n’enseigne pas pour être seulement le prof des élèves qui sont bons et qui vont nous donner raison.

Mon frère est mort dans l’indignité. Et je suis révoltée de l’indifférence générale à l’égard du suicide. D’ailleurs, quel média suit vraiment les travaux de cette enquête publique ? Je suis contente de constater que ma famille s’est intéressée à ma démarche, et que d’autres, comme moi, ont eu le courage de raconter leur histoire. Elle n’est pas aussi amusante qu’une danse sur TikTok, mais elle relate ce qu’il y a de plus humain, en rappelant que personne n’est à l’abri d’une souffrance morale qui, un jour, devient juste de « trop » au point qu’on se met à broyer du noir et à ruminer sa perte.

Ce que j’ai vécu mardi, profondément dans ma chair, ce n’est pas mon témoignage. Ce sont tous les autres témoignages que j’ai entendus, et qui ont raconté… la même histoire que la mienne. Me Julie-Kim Godin, coroner chargée de cette enquête, a demandé à la dernière participante de partager ses idées sur le thème du deuil : « Qu’est-ce qui vous aiderait à faire votre deuil ? » J’aurais aimé qu’on me pose la même question.

« Responsabilité » est le premier mot qui me serait venu en tête. Le suicide engendre un sentiment de culpabilité irrépressible chez les proches qui n’ont pourtant pas tiré sur la gâchette, pas poussé le tabouret, pas fourni les barbituriques. Et quand, dans les hôpitaux, on remet la faute sur le patient, quand on nous dit : « Il l’aurait fait de toute façon », « C’est son choix », « Il n’y avait rien à faire », on se sent encore plus coupables puisqu’on se demande : coudonc, c’est une maladie, ou non ? Vous vouliez le guérir, ou non ? Ce que les familles vivent avec le suicide, c’est un vortex de souffrance que l’hôpital approfondit avec son refus de porter le poids de sa responsabilité.

La seule chose qui aiderait à guérir, à mon sens, c’est que cette responsabilité soit nommée, quand un proche hospitalisé décède à l’hôpital ou après avoir reçu des traitements. Ce qui guérirait, c’est le zèle du coroner qui nommerait la partie des soins qui a achoppé et échoué. […] C’est important de le nommer, pour décharger les survivants du poids d’une responsabilité fabuleuse et s’assurer, collectivement, que ça n’arrivera plus. Je rappelle que le coroner travaille en principe au service du public.

Dans l’espoir que cette enquête publique ne soit pas qu’un cirque pour contenter des familles à bout… Car il ne faut pas se le cacher, donner un espace de liberté de parole aux endeuillés pour exprimer leur désarroi, c’est aussi s’assurer de leur silence à jamais.

Le coroner est le dernier rempart qu’il reste pour défendre la dignité des victimes des pires soins et de leurs survivants brisés. À bon entendeur, salut !

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