Transformer l’exercice de la diplomatie canadienne

La douzième titulaire du ministère des Affaires étrangères en quinze ans, Mélanie Joly, a lancé un grand projet visant à transformer l’exercice de la diplomatie canadienne. À défaut de repenser les orientations de la politique étrangère afin de l’amarrer au temps présent et futur, la ministre a préféré s’attaquer aux structures qui l’animent. C’est un choix, et il faut espérer que le premier ministre lui donnera le temps de mener à son terme cette entreprise.
Affaires mondiales Canada, la structure qui réunit les ministères des Affaires étrangères, du Commerce international et de l’Aide au développement a bien besoin d’un coup de balai. Il y a des années maintenant que les fonctionnaires et les diplomates canadiens demandent aux politiciens de moderniser l’outil diplomatique afin qu’il soit mieux adapté aux bouleversements qui transforment le monde et affectent le Canada.
Récemment, lors d’une rencontre avec ses employés, la ministre les a invités à participer au processus de transformation en soumettant des commentaires et des idées pour alimenter la réflexion sur les actions à entreprendre dans quatre domaines clés : le recrutement du personnel, la capacité d’élaboration de politiques, l’adaptation aux nouvelles technologies et la présence du Canada dans le monde.
Le gouvernement veut recruter les meilleurs et les maintenir en poste, mais l’exercice risque d’être difficile. Le secteur privé s’arrache en effet les diplômés les plus brillants dans un marché du travail très compétitif en leur offrant d’excellentes conditions. Jadis, la diplomatie attirait ceux et celles qui rêvaient d’une carrière à l’étranger malgré des salaires modestes.
Malheureusement, si la diplomatie canadienne coche les cases si chères à Justin Trudeau — la moitié des chefs de mission sont des femmes, et les membres des minorités visibles et de la communauté LGBTQ représentent respectivement 8 % et 10 % des employés —, plus de 80 % des diplomates canadiens remplissent des papiers à Ottawa et ont mis une croix sur un poste à l’étranger. La France, elle, déploie deux employés sur trois dans ses missions diplomatiques.
Diplomates de carrière
L’incapacité des diplomates à travailler à l’étranger prive la diplomatie canadienne de l’expérience nécessaire à l’élaboration des politiques. Mais il y a pire. Les travaux de Donald Savoie sur la gouvernance fédérale soulignent la marginalisation constante des fonctionnaires dans l’élaboration des politiques sous les conservateurs de Stephen Harper et les libéraux de Justin Trudeau.
L’auteur estime que leur rôle traditionnel de conseiller stratégique, d’idéateur auprès des politiciens, rôle reposant sur l’expérience et la connaissance, a été lentement remplacé par celui de relationniste au service des politiciens. Dès lors, le processus d’élaboration des politiques a été réduit à une mise en forme des programmes politiques. Lorsque les produits remplacent les idées, les talents s’assèchent en d’inutiles séances de promotion.
De plus, écrit Savoie, le modèle de gestion du secteur privé a été mis en valeur, et les fonctionnaires ont été invités à s’adapter. Ainsi, au sein des structures de la diplomatie canadienne, l’accent mis sur les habiletés de gestion a favorisé au cours des dernières années la promotion, aux plus hauts échelons, de fonctionnaires possédant ces qualités au détriment des diplomates de carrière portés sur la réflexion. Plusieurs d’entre eux proviennent d’autres ministères dont les liens avec la diplomatie sont pour le moins ténus, sinon inexistants.
L’absence de plus en plus récurrente de diplomates de carrière aux plus hauts échelons (sous-ministres, sous-ministres adjoints et ambassadeurs) ne favorise guère la réflexion stratégique sur la politique étrangère canadienne, au moment où le monde connaît un durcissement dans les relations internationales, une remise en cause des normes internationales et des changements géopolitiques majeurs. Le processus de transformation devra trouver un moyen de remettre les idéateurs au centre d’une diplomatie qui en manque cruellement.
L’avantage du terrain
Décoder les événements qui structurent et structureront les relations internationales nécessitera plus qu’une adaptation aux technologies de communications et aux outils numériques. Certes, la pratique des relations internationales ne peut ignorer les médias sociaux et l’accès rapide aux données pour optimiser la prise de décision, mais elle reste encore tributaire des liens établis entre humains à travers un réseau diplomatique dense et riche. Ici, le Canada est dans la plus mauvaise des positions.
Selon une étude de l’Institut Lowy publiée en 2019, le Canada est en queue de peloton parmi les membres du G7 avec ses 144 missions diplomatiques à l’étranger, contre 205 pour l’Italie, 267 pour la France et 273 pour les États-Unis. Le plus gênant, c’est la comparaison avec des puissances moyennes : la Corée du Sud a 183 missions diplomatiques, la petite Suède, 152.
Augmenter sa présence sur le terrain offrirait au Canada plus d’occasions de mieux défendre ses intérêts et de promouvoir ses valeurs. Cela lui permettrait aussi de placer les siens à la tête de grandes organisations internationales, de participer pleinement au renouvellement du multilatéralisme et de mener une véritable campagne afin de revenir siéger au Conseil de sécurité.
La diplomatie canadienne est régulièrement tournée en dérision pour sa propension à imaginer le monde tel qu’il devrait être plutôt qu’à le prendre tel qu’il est. Il faut espérer que la réingénierie des structures de la politique étrangère proposée par la ministre permettra au gouvernement de compter un peu plus sur des diplomates qui ont les pieds sur terre et un peu moins sur des preachers. Le monde d’aujourd’hui et celui qui se profile à l’horizon l’imposent.