La crise du logement, bien plus qu’un problème de pauvreté

Diminution du parc locatif, rénovictions, hausse fulgurante des loyers, embourgeoisement : l’accès au logement s’est hissé au cœur des priorités des citoyens d’une manière sans précédent dans l’histoire récente du Québec, devenant ainsi un enjeu central de la prochaine élection. La question du logement suscite bien des débats qui opposent des experts de différentes disciplines et fait l’objet de vives controverses puisqu’elle touche deux des droits les plus fondamentaux, soit le droit de propriété et le droit au logement. Les perspectives ainsi que les solutions proposées témoignent de conceptualisations particulières de l’économie et du rôle de l’État. Néanmoins, on remarque une tendance lourde, autant au niveau des partis politiques que des différents spécialistes, à concentrer l’attention et les ressources vers un interventionnisme de financement et d’aide aux plus démunis au détriment d’un interventionnisme de régulation des échanges économique.
Ainsi, plusieurs études récentes au Québec mettent l’accent sur les populations aux prises avec des difficultés en matière d’habitation. Se basant sur une vue empirique de situations résidentielles précises et réelles, leurs auteurs identifient les difficultés vécues par des groupes particuliers tels que les minorités ethniques, les familles monoparentales, les personnes âgées et les personnes qui ont un handicap physique ou intellectuel. Ces travaux soulèvent des questions primordiales, dont celles reliées à l’éthique et à la responsabilité sociale. Ils soulignent les lacunes de l’État en tant que pourvoyeur de services dans le domaine de la santé et des services sociaux, tout en exigeant plus de financement pour les organismes communautaires.
D’une manière générale, les intervenants appellent presque tous à une intervention plus soutenue des gouvernements dans le champ de l’aide aux populations les plus vulnérables, et non sur la régulation du marché en tant que tel. Pourtant, c’est ce même marché qui engendre les inégalités et qui perpétue les causes de leur vulnérabilité. De plus, les études parcellaires des chercheurs et le fractionnement des locataires en plusieurs sous-groupes d’études ont contribué à mettre de l’avant les difficultés vécues par certains groupes minoritaires ou marginalisés et, par voie de conséquence, à valoriser des mesures interventionnistes de financement dirigées vers ces populations.
Curieusement, cette approche, qui privilégie le logement social et l’aide aux démunis, s’accorde avec les arguments des tenants du libéralisme économique. Ils insistent pour que l’interventionnisme gouvernemental se limite à une aide sporadique, sous forme de subventions, tout en refusant que l’État s’engage dans un domaine qu’ils considèrent comme relevant d’une logique contractualiste fondée sur le principe du libre marché.
Parmi les économistes qui reconnaissent que le logement représente un enjeu social nécessitant une intervention gouvernementale, plusieurs prônent des solutions de financement étatique plutôt que des politiques de régulation des échanges économiques. Ils critiquent les entraves que les mesures de régulation des échanges imposent au marché locatif et, plus globalement, au marché immobilier. La solution, appuyée sur une vision néolibérale, paraît somme toute assez simple : déréglementer le secteur de l’habitation et accorder une aide pour les plus démunis.
Pourtant, le gouvernement québécois emprunte la voie de la régulation économique dès 1951 avec la Loi sur la Régie du logement. On reconnaît alors un caractère particulier au bail résidentiel ; la loi fixe certaines obligations et encadre son contenu. Toutefois, pour que ces règles aient des effets réels, elles doivent s’accompagner de moyens permettant leur mise en application lorsque l’une ou l’autre des parties échappe à ses obligations. Bien que le législateur édicte des principes et adopte des lois dont les objectifs visent à rééquilibrer les rapports de pouvoir entre propriétaires et locataires, la réalisation de leurs objectifs dépend, en définitive, de la mise en place de moyens faisant en sorte qu’ils soient respectés.
À titre d’exemple, le registre des loyers réclamé par plusieurs acteurs sociaux soucieux de l’augmentation abusive des prix se veut une solution aux lacunes concernant l’obligation de déclarer le loyer précédent, chose déjà prévue par la loi. Cette mesure n’est en réalité qu’un moyen d’appliquer efficacement la loi déjà en place qui oblige de divulguer au nouveau locataire le plus bas loyer payé depuis les 12 derniers mois. Autre exemple, aucun organe de surveillance ne s’assure que les reprises de logement autorisées par le Tribunal administratif du logement soient conformes à ce qui a été annoncé par le propriétaire. Or, l’efficacité d’une loi dépend de l’existence de mesures coercitives qui assurent sa mise en application et le respect des obligations qu’elle impose.
Les dynamiques économiques à l’œuvre aujourd’hui dans le domaine de l’habitation amènent de nouveaux défis, alors que les biens immobiliers demeurent des biens spéculatifs et que plusieurs appartements sont extraits du marché locatif résidentiel pour devenir des immeubles en copropriété ou des hébergements de courte durée (de type Airbnb). Ceci pose la question de la réglementation du parc immobilier et de l’encadrement de l’investissement immobilier afin d’éviter certains problèmes relatifs à la capitalisation, dont l’embourgeoisement et la diminution du stock de logements abordables.
Le problème du logement doit se comprendre autrement que par une logique qui l’assimile à un problème de pauvreté. Il implique une réflexion de fond sur les comportements des investisseurs, sur les dynamiques propres au capital immobilier et sur les rapports de pouvoir à l’œuvre à l’intérieur même du marché locatif.