La «loi 96», un frein évident à la pratique orthophonique et audiologique

«Le gouvernement doit prendre rapidement position sur la pratique de l’orthophonie et de l’audiologie en lien avec les règlements d’application qui découleront de l’adoption du projet de loi 96», estiment les signataires.
Photo: Getty Images «Le gouvernement doit prendre rapidement position sur la pratique de l’orthophonie et de l’audiologie en lien avec les règlements d’application qui découleront de l’adoption du projet de loi 96», estiment les signataires.

L’Association québécoise des orthophonistes et audiologistes (AQOA) soulève des inquiétudes en lien avec la « loi 96 ». Les orthophonistes ont recommandé des amendements appuyés par des connaissances cliniques et scientifiques afin d’éviter de pénaliser certains groupes vulnérables en matière d’accès aux services de santé et d’éducation. La « loi 96 » porte également atteinte à la liberté professionnelle des orthophonistes et audiologistes, surtout les professionnels bilingues, autochtones, noirs ou racisés.

D’emblée, nous reconnaissons et valorisons le français comme langue commune et publique au Québec. Toutefois, une crainte est évidente pour tous les orthophonistes et audiologistes, surtout ceux qui pratiquent dans une langue autre que le français, ainsi que pour ceux qui, en plus du français, utilisent d’autres langues dans leur pratique. Ces professionnels se voient particulièrement affectés, voire pénalisés, par l’adoption du projet de loi 96. L’interdiction de demander l’intervention d’un interprète, à moins que leurs usagers répondent aux critères d’exemption, est inquiétante. Les orthophonistes et audiologistes se verront restreints quant au choix de la langue d’évaluation et d’intervention, qui est un choix souvent crucial pour assurer des services de qualité.

En plus de limiter les actes professionnels propres à leur travail, la « loi 96 » limite également l’ensemble des interactions humaines inhérentes au travail des orthophonistes et audiologistes, comme donner des explications supplémentaires au téléphone, planifier un rendez-vous, ou apprendre à connaître et tisser des liens avec leurs usagers. Cela affectera l’alliance thérapeutique, le sentiment de compétence auprès de la clientèle et le jugement clinique.

Les orthophonistes et les audiologistes seront nécessairement placés face à des dilemmes déontologiques s’ils ne peuvent prendre les meilleures décisions professionnelles pour les services de leurs usagers. Par exemple, pour un enfant bilingue, la littérature scientifique appuie l’évaluation dans les deux langues de l’enfant afin d’avoir un portrait juste de ses capacités et éviter la sur-identification ou la sous-identification. Ne pas pouvoir utiliser une langue autre que le français ou ne pas avoir accès à un interprète dans ces situations pourrait porter préjudice aux usagers et alors causer un problème déontologique.

Nous sommes par ailleurs tenus de présenter les résultats aux usagers et à leur famille. Ceux-ci doivent également consentir aux services et prendre part aux décisions qui les concernent. Ne pas être en mesure de communiquer clairement l’information au client, en utilisant par exemple sa langue, lui portera préjudice et encore une fois constituera un dilemme déontologique.

Afin de faciliter la communication avec ces usagers et leur offrir des services de qualité, le recours à des interprètes est essentiel. Travailler en partenariat avec un interprète fait d’ailleurs partie des bonnes pratiques en orthophonie et en audiologie. En plus de nuire à la qualité et à l’accessibilité à des services essentiels pour une partie de la population, cette limitation causée par la « loi 96 » entraînera un sentiment d’incompétence et d’impuissance auprès des membres.

L’essence même des professions de l’orthophonie et de l’audiologie est la communication humaine, au sens large. Souvent, une alliance professionnelle privilégiée, basée sur la sécurisation culturelle, peut se créer entre un membre et son usager. Ceci assure d’une part une qualité de services, et d’autre part, l’épanouissement professionnel. Toutefois, avec la « loi 96 », un membre hispanophone par exemple qui souhaitera communiquer en espagnol avec un usager, également hispanophone, se verra dans l’impossibilité de le faire, ce qui compromettra l’alliance thérapeutique.

Nous demandons plus de clarté quant aux conditions d’exemptions et, surtout, une exemption totale lors de tous les services rendus dans les domaines de la santé, des services sociaux et de l’éducation. La solution optimale, à notre avis, est le retrait des dispositions du projet de loi 96 sur la langue de communication entre l’Administration et les personnes physiques. Cela permettrait de revenir aux dispositions existantes de la Charte de la langue française en la matière qui consacrent la primauté du français dans les communications avec les individus tout en permettant l’usage d’une autre langue dans certaines circonstances, principalement lorsque l’individu ne comprend pas suffisamment le français.

Le gouvernement doit prendre rapidement position sur la pratique de l’orthophonie et de l’audiologie en lien avec les règlements d’application qui découleront de l’adoption du projet de loi 96. Le ministre Jolin-Barrette peut et doit préciser l’application de cette loi pour des professions comme la nôtre par règlement.

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