Pourquoi encore viser seulement les filles?

L’actualité médiatique des derniers jours a mis une fois encore à l’avant-scène les protestations relatives aux codes vestimentaires scolaires. Il n’est pas surprenant que la question des codes vestimentaires resurgisse alors que le mercure franchit la barre des 25 °C. En effet, lorsque les températures augmentent, les filles portent des shorts, des jupes et des robes plus courtes ainsi que des camisoles, dans un souci de confort. Or, ces vêtements posent généralement problème dans l’espace scolaire québécois, comme l’a montré la recherche que j’ai menée dans le cadre de mon mémoire de maîtrise en sociologie.
Ma recherche s’est penchée à la fois sur les contenus des codes vestimentaires scolaires et sur les expériences des filles à l’égard de ces politiques régissant l’habillement scolaire et leur application au quotidien. Pourquoi seulement les filles ? Il suffit de jeter un coup d’œil aux politiques vestimentaires scolaires pour répondre à cette question.
Bien qu’ils soient le plus souvent rédigés dans un vocabulaire en apparence neutre sur le plan du genre, les codes vestimentaires des écoles publiques québécoises ciblent spécifiquement les corps des filles, et ce, tant sur le plan du type de vêtements qui sont proscrits que des parties du corps qui sont mentionnées. Par exemple, la plupart des politiques vestimentaires scolaires formulent des injonctions ciblant les tenues dites féminines, comme les robes ou les shorts « courts », la largeur des bretelles, la profondeur du décolleté et le port de leggings.
Imposer
Après avoir analysé les règles vestimentaires à l’école, il devient difficile d’accepter l’argument commun voulant que ces injonctions s’appliquent à l’ensemble des élèves. Bien au contraire, les parties du corps et les vêtements mentionnés dans les codes vestimentaires sont d’abord et avant tout associés à la compréhension normative de ce en quoi consiste un vêtement « féminin ».
Si une règle stipulant que le « port d’une jupe de maximum six centimètres au-dessus du genou est acceptable » s’applique théoriquement à l’ensemble des élèves, en pratique, ce sont majoritairement les filles qui sont visées et qui doivent apprendre à naviguer avec ces prescriptions dans l’espace scolaire. Les adolescentes sont en ce sens indéniablement au centre des préoccupations vestimentaires en milieu scolaire dans la mesure où ces politiques s’affairent explicitement à réglementer leur apparence.
Par ailleurs, ma recherche a également révélé que l’application de ces règles cible les filles de manière disproportionnée. Elles sont davantage surveillées que les garçons et plus souvent punies en vertu des codes vestimentaires scolaires. Par exemple, elles se voient imposer le port de vêtements provenant du fameux bac des objets perdus que possède chaque école secondaire et sont menacées d’être exclues de la classe si elles refusent. Les participantes à mon étude ont toutes souligné l’humiliation et le sentiment d’injustice qu’elles ressentent face à l’application arbitraire de règles qu’elles jugent à la fois sexistes et dépassées. C’est le cas de Béatrice (prénom fictif) qui m’a rapporté les propos suivants d’une intervenante de son école : « Cache tes épaules, sinon les gars vont mordre à l’hameçon. »
D’autres interventions similaires m’ont été racontées, reposant toutes sur l’idée qu’il est de la responsabilité des filles « de se couvrir » puisque la visibilité du corps féminin serait susceptible de déclencher des « pulsions » masculines prétendument incontrôlables.
Résister
Ma recherche a aussi souligné que le sentiment d’injustice des filles face aux codes vestimentaires se traduit dans toute une gamme de stratégies de résistance. Ces dernières vont des comportements d’évitement, comme le fait de tirer sur ses vêtements ou de s’assurer de ne pas croiser certains intervenants scolaires pour ne pas se faire avertir, aux efforts de dénonciation et aux mouvements de contestation, comme ceux qu’on a vus dans les derniers jours.
Cette résistance montre que les filles ne sont pas passives devant les injustices genrées, au contraire, elles les dénoncent et s’expriment à travers une multitude d’actes d’agentivité politique tout en remettant en question les discours d’intervention qui placent leurs corps dans une position d’objet de distraction pour le regard masculin.
En somme, il importe d’écouter les filles qui dénoncent des politiques vestimentaires à la fois injustes et humiliantes. C’est maintenant aux instances scolaires de prendre une posture d’écoute, de valoriser leur parole, de réellement tenter de la comprendre et de mettre en place des changements qui participeront à la mise en œuvre d’un milieu scolaire plus égalitaire.
Je souligne également que si les codes régissant l’habillement en milieu scolaire sont édictés avant tout pour contrôler l’apparence et les choix vestimentaires des filles, ces derniers affectent de façon particulière les personnes trans et non binaires, de même que toutes les personnes dont le corps ne correspond pas aux normes dominantes sur le plan de la classe, de la « race » et du poids.