École ensemble a tout juste avec sa réforme

«Les enfants de parents plus aisés réussissent mieux les tests d’entrée», écrit l’auteur.
Photo: Adil Boukind Le Devoir «Les enfants de parents plus aisés réussissent mieux les tests d’entrée», écrit l’auteur.

On le sait, l’éducation secondaire du Québec est un système à deux vitesses, divisé entre son réseau privé, subventionné et sélectif, et son réseau public qui concentre une forte proportion d’élèves ayant des difficultés d’apprentissage. Avec la sélection des meilleurs élèves au privé et la concentration des élèves en difficulté dans les mêmes classes au public, on crée une ségrégation scolaire qui contribue au décrochage scolaire, aux difficultés de rétention des professeurs dans le réseau public et qui nuit à l’égalité des chances.

Pour remédier à cette situation, plusieurs ont proposé d’abolir les subventions au réseau privé, puisque le coût des études est actuellement subventionné à 75 %. Sans subventions gouvernementales, les droits de scolarité dans les écoles privées augmenteraient considérablement, ce qui provoquerait une ruée vers le secteur public. En théorie, cette nouvelle mixité favoriserait les élèves en difficulté, sans nuire aux élèves plus performants.

Cette solution est impraticable parce qu’elle ne tient pas compte de la difficulté de modifier les institutions existantes et de surmonter l’opposition aux réformes. On ne sait ni comment absorber dans le réseau public les nouveaux élèves provenant du privé, ni quoi faire avec les écoles privées vidées d’une forte proportion de leurs élèves. Puisqu’elle vise justement à réduire leur « clientèle », l’abolition des subventions génère une opposition tenace de la part des écoles privées qui savent attiser les craintes des parents.

Il est suicidaire pour tous les partis politiques de s’attirer les foudres des parents, nombreux et influents, qui envoient leurs enfants à l’école privée. L’abolition des subventions obligerait les parents dont les enfants fréquentent l’école privée d’assumer une hausse considérable des droits de scolarité ou alors d’envoyer leurs enfants à l’école publique, l’école qu’ils ont précisément choisi d’éviter.

La solution proposée par École ensemble contourne brillamment ces difficultés. Elle propose une transition progressive sur six ans vers le financement à 100 % du réseau privé. En échange, ce nouveau réseau privé « conventionné » ne pourra plus sélectionner les élèves. De plus, un choix de parcours particulier serait offert à tous les élèves. L’admission aux écoles serait déterminée par des secteurs géographiques créés en vue de diversifier le niveau socioéconomique des parents.

Les écoles privées garderaient leur administration distincte et demeureraient indépendantes. Leur opposition, tout comme celle des parents, serait amoindrie puisque l’accès à l’école privée n’est nullement limité (il s’accroîtrait même). Certes, certains préféreront conserver le principe de sélection des élèves pour favoriser leur propre enfant ou leur propre école, mais cet argument égoïste demeure difficile à tenir dans l’espace public.

Le plan d’École ensemble permet quand même une échappatoire aux parents qui tiennent au privé (et qui en ont les moyens). Les écoles privées pourront devenir « non conventionnées » et continuer de sélectionner des élèves, sans recevoir de subventions publiques. Bref, Brébeuf sera toujours Brébeuf.

Cette proposition est supérieure à toutes les autres. Elle est politiquement beaucoup plus réaliste que l’abolition des subventions parce qu’elle générerait moins d’opposition. Elle permettrait de réduire considérablement les inégalités entre les écoles publiques et privées, davantage que si on se limitait à abolir les tests d’entrée tout en conservant les subventions à leur niveau actuel. En effet, les enfants de parents plus aisés réussissent mieux les tests d’entrée et ont les moyens de payer les frais de scolarité.

En plus, École ensemble calcule que la réforme serait à coût nul pour le trésor public. Si on postule qu’environ la moitié des élèves du privé se tourneraient vers le réseau non conventionné malgré les frais de scolarité doublés ou triplés, la réforme générerait même plus de revenus que de dépenses. Il est probable que moins d’étudiants décideront de rester au privé non conventionné, ce qui augmenterait les coûts pour l’État. Il n’en demeure pas moins que le coût direct de cette réforme pour les finances publiques demeure dérisoire par rapport aux avancées sociales réalisées à moyen terme.

Des propositions de la réforme méritent d’être débattues. Au primaire, la répartition par bassins scolaires délimités géographiquement semble tout à fait logique, mais est-ce la meilleure solution au secondaire ? Ces bassins scolaires ne risquent-ils pas d’être inéquitables ou de contribuer à hausser la valeur de l’immobilier dans certains quartiers regroupant de meilleures écoles ? Il pourrait être pertinent qu’une proportion des élèves choisis au hasard parmi des inscrits puisse provenir de l’extérieur du bassin scolaire géographique. Ainsi, les parents auraient encore la chance de pouvoir envoyer leur enfant à leur école préférée, limitant d’autant plus leur opposition à la réforme.

Franchement, il m’est difficile de concevoir une réforme de politiques publiques réduisant davantage les inégalités socioéconomiques au Québec à moyen terme, surtout à un coût aussi faible. Tous les partis qui ont à cœur l’amélioration de notre réseau éducatif et la réduction des inégalités devraient la défendre à la prochaine élection.

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