Le défi de l’étalement urbain

La responsabilité qui incombe au palier municipal en matière de lutte contre les changements climatiques est aujourd’hui indiscutable. Elle appartient désormais à une jeune génération d’élus municipaux, plus jeune, plus verte et plus sensible. Lors des Assises de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) auxquelles j’ai assisté la semaine dernière, les élus ont beaucoup parlé de mobilité durable, de densification urbaine, tout comme d’étalement urbain et de gaz à effet de serre.
La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme encadre la gestion des projets de densification urbaine lorsque ceux-ci requièrent une modification au zonage, ce qui est souvent nécessaire. La loi permet cependant aux résidents des zones contiguës, aussi peu nombreux soient-ils, de disposer ou non de tels projets, et ce, malgré l’objectif du développeur et la volonté des élus municipaux. Il importe ici de préciser que la densification du territoire urbain n’est pas une vue de l’esprit et figure depuis 1994 dans les orientations gouvernementales au Québec.
En 2017, l’UMQ a insisté pour que le mécanisme d’approbation référendaire soit remplacé par un processus de consultation publique rigoureux, impliquant les citoyens en amont, mais redonnant aux élus municipaux la responsabilité ultime de statuer sur la réalisation d’un projet immobilier. L’argumentaire reposait sur le fait que le mécanisme référendaire plaçait de facto en conflit d’intérêts les citoyens réfractaires, puisque ceux-ci défendent inévitablement des intérêts particuliers (la quiétude du quartier, la crainte de l’accroissement de la circulation et du bruit, etc.) au détriment de l’intérêt public (l’optimisation des infrastructures, le développement des services de proximité et de transport public, etc.) dont est gardien le conseil municipal.
Je me suis moi-même battu afin d’autoriser l’agrandissement d’une résidence pour aînés dans un quartier où la population était vieillissante. J’ai vu un projet de reconversion d’un immeuble institutionnel en logements au cœur de Sherbrooke être retiré parce qu’une poignée de citoyens s’y opposait. Bon nombre de développeurs hésitent même à soumettre des projets de densification en milieu bâti en raison des levées de boucliers citoyennes. On comprend mieux pourquoi la Loi sur les services de garde éducatifs à l’enfance ne permet pas aux citoyens de s’opposer à l’implantation d’un CPE dans un milieu résidentiel.
En 2017, le législateur a accordé aux conseils municipaux qui adoptent une politique de participation publique, politique élaborée, entre autres, avec l’UMQ, l’Institut du Nouveau Monde et Vivre en Ville, de se soustraire à l’approbation référendaire sur une modification au zonage. Pour s’en prévaloir, la municipalité n’a qu’à adopter un règlement en ce sens. Depuis, rares sont celles qui ont adopté un tel règlement. Certaines villes s’accommodent d’une politique de consultation publique sans qu’elle ne remplace l’exigence référendaire, alors que d’autres se disent toujours impuissantes face aux réactions citoyennes et souhaitent une intervention de Québec.
Le débat à l’époque ne s’inscrivait pas encore dans l’urgence climatique. Ajoutez les pressions immobilières post-COVID; le développement résidentiel doit être (re) pensé en termes de consolidation et de restructuration des milieux urbains existants plutôt qu’en périphérie. Dans ce contexte, chaque défaite référendaire ou retrait d’un projet de densification urbaine a pour corollaire une pression accrue en faveur de l’étalement urbain.
Le profil des acteurs municipaux change, tout comme l’environnement dans lequel ceux-ci doivent agir. Ce nouvel environnement nous montre que la pratique référendaire est de moins en moins bien fondée sur l’intérêt public et devient un sauf-conduit vers l’étalement urbain. Des outils sont déjà dans le coffre des municipalités pour favoriser des projets de densification urbaine dans la mesure où ceux-ci répondent aux objectifs de la municipalité.
Entendons-nous bien, ce mécanisme ne règle pas tout, mais jumelé aux autres pouvoirs réglementaires, il est certainement l’amorce d’une pratique urbanistique responsable. La nouvelle génération d’élus municipaux dont l’ambition est de sauver notre planète devra cependant faire montre de courage politique pour les utiliser.