Le Canada isolé sur la scène internationale?

Le Canada est-il isolé sur la scène internationale ? La semaine dernière, à Ottawa, un aréopage d’experts et de personnalités politiques s’est penché sur le rôle du Canada dans le monde et a tenté de tirer quelques enseignements vus à travers le prisme de la guerre en Ukraine et de la dégradation des relations entre grandes puissances. Le constat s’est rapidement dégagé sur le Canada et confirme ce que de nombreux chercheurs relèvent depuis plusieurs années : il compte de moins en moins.
Le Canada ne manque pourtant pas d’atouts sur les plans économique, humain, militaire et des richesses naturelles, a dit l’ex-ambassadeur à Washington Franck McKenna, « mais il semble incapable de les mobiliser ». Le problème, a souligné pour sa part l’ancien premier ministre Joe Clark, est que Justin Trudeau dirige « un gouvernement remarquablement replié sur lui-même. Nous ne sommes pas suffisamment engagés. Certains ministres sont de grande qualité, mais, dit-il, ils ne s’imposent pas assez. Ils se rendent aux événements pour faire partie de la photo, puis ils quittent la scène ».
Cette passivité a fait dire à John Manley, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères sous Jean Chrétien, que « nous sommes plus isolés du monde que nous ne l’avons jamais été ».
J’ai demandé à Manley de développer ce constat pour le moins pessimiste. Il a pris comme exemple la relation avec les États-Unis. « Les années Trump ont démontré qu’il n’y avait pas de “relation spéciale” si spéciale qu’elle l’emporte sur les intérêts nationaux », écrit-il dans un courriel. En fait, la relation avec les États-Unis est loin d’être stabilisée, Biden défendant bec et ongles la loi « Buy America ». Comble de l’absurde, souligne Manley, les États-Unis pensent même acheter du pétrole vénézuélien plutôt que canadien afin de remplacer leur approvisionnement russe.
Mais ce qui choque le plus Manley est la propension du gouvernement à donner des leçons au monde entier sans pourtant en tirer le moindre bénéfice. « Notre politique étrangère fondée sur les valeurs s’est transformée en une litanie de plaintes perpétuelles et de postures vertueuses qui ont fait de nous un pays sans importance que plus personne n’écoute », écrit-il.
Les dernières déclarations de la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, et de l’ambassadeur du Canada aux Nations unies, Bob Rae, tendent à conforter les pires appréhensions de John Manley.
Une diplomatie de postures
Il y a quelques semaines, après qu’on lui a demandé pourquoi le Canada exigeait l’expulsion de la Russie du G20, la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a répondu : « mon objectif est de m’assurer que je ne suis pas assise à la même table que Lavrov, ni le premier ministre [avec Poutine] ». Cette déclaration est incompatible avec le travail diplomatique, dont l’effort consiste à discuter avec toutes les parties.
Si la position de Joly avait été érigée en doctrine par les Occidentaux depuis des décennies, rien de concret n’aurait été accompli sur la scène internationale pour réchauffer les relations entre pays ou régler les conflits. Le comportement des Américains dans le dossier afghan en est un bon exemple. Longtemps, ils ont considéré les talibans comme des terroristes. Puis, soudainement, ils se sont assis à la table avec ces terroristes, ont signé un accord de paix avec eux et ont quitté l’Afghanistan.
La diplomatie doit souvent s’exercer en toute discrétion, particulièrement au sein des grandes organisations internationales où les discussions de couloir donnent souvent des résultats. Qu’à cela ne tienne, Bob Rae a préféré se donner en spectacle sur une question qui ne trouve et ne trouvera aucune solution : l’avenir du droit de veto accordé aux cinq grandes puissances membres permanentes du Conseil de sécurité. Le mois dernier, l’Assemblée générale a adopté une résolution leur demandant de justifier leur recours au veto.
Rae en a profité pour élargir le débat et se lancer dans une attaque en règle contre un droit de veto « aussi anachronique qu’antidémocratique », feignant d’oublier que le Conseil de sécurité, dont les attributions sont inscrites dans la Charte de l’ONU, n’a pas été créé pour être démocratique, mais efficace et représentatif de la hiérarchie de puissance dans la société internationale. Le veto, écrit le juriste français Serge Sur, a son utilité : lors d’un conflit, il calme le jeu au sein du Conseil et évite une crise institutionnelle, il préserve la paix en empêchant l’aggravation de la situation, et il écarte la sortie de l’ONU d’une ou de plusieurs grandes puissances dont les intérêts se trouveraient lésés. Tout cela est une évidence depuis 1945.
Quelque chose me dit que les représentants des cinq grandes puissances, pour une fois tous unis sur une question, devaient ricaner en écoutant l’ambassadeur canadien jouer les Don Quichotte des temps modernes. Le Conseil de sécurité est une formidable machine pour régler certains conflits lorsque les États membres et en particulier les cinq grands en décident. Mais lorsqu’un État comme le Canada entend priver les cinq de leurs privilèges, il ne peut que provoquer une réaction de rejet et se disqualifier. Cette résolution en forme de vœux pieux dont la diplomatie canadienne raffole ne changera rien au comportement des grandes puissances.
Les discours à l’emporte-pièce et les postures vertueuses masquent l’impuissance de la diplomatie canadienne sur la scène internationale. Ottawa peut-il changer de logiciel ? Encore faudrait-il que les dirigeants canadiens procèdent logiquement. On nous promet pour bientôt une politique de défense sans même avoir défini le cadre de politique étrangère dans laquelle elle s’inscrira. Comprenne qui pourra.