Le pouvoir d’autocorrection des universités a des limites

Au moment où la question discutée dans le monde universitaire québécois concerne la liberté universitaire d’enseignement, de recherche, de création et de critique, le recteur de l’Université de Montréal demande : « À quoi servent les universités » (Le Devoir, 30 avril 2022). Il nous rappelle avec raison que leur mission « s’inscrit dans le temps long » et que c’est l’un « des rares espaces où l’on peut encore invoquer la pensée critique et le débat ouvert ».
D’aucuns trouveront cependant curieux qu’il considère qu’elles ont pour « premier rôle de préserver le savoir et les acquis de la connaissance scientifique », alors que c’est plutôt là la mission des musées et des bibliothèques. Le « deuxième rôle fondamental des universités » serait « la transmission des savoirs, la formation de la jeunesse ». Pourtant, former « la jeunesse » n’est pas réservé à l’université ; les cégeps y contribuent fortement. Rendu à ce point, on se demande si la recherche va finir par être mentionnée.
Car loin d’avoir été une mission de l’université depuis « huit siècles », la recherche ne s’y est ajoutée comme activité officielle qu’au XIXe siècle, dans le sillage de l’idée géniale de Wilhelm von Humboldt, fondateur de l’université de Berlin en 1809, de ne plus laisser la recherche scientifique aux seules académies, mais de l’associer étroitement à l’enseignement universitaire. Quoi qu’il en soit de ce détail historique, on est tout de même soulagés de lire : « Enfin, le troisième rôle des universités est de créer de nouveaux savoirs ».
On se demande pourquoi, au lieu d’improviser sur les rôles de l’université, le recteur n’a pas consulté les nombreux rapports qui définissent très clairement et depuis longtemps la mission de ces institutions. Pensons, par exemple, au tout récent « Rapport Cloutier » sur la liberté universitaire qui définit ainsi cette mission : « La production et la transmission de connaissances par des activités de recherche, de création, d’enseignement et de services à la collectivité. »
Mais on comprend mieux le but réellement visé par ce préambule contourné sur les « rôles » de l’université quand, soudain, et sans lien logique avec ce qui précède, le recteur affirme de manière péremptoire qu’il « faut laisser les universitaires définir eux-mêmes les contours de la liberté académique » et qu’on n’a « pas besoin d’un texte législatif comme le projet de loi 32, actuellement devant l’Assemblée nationale, pour y parvenir ».
Autonomie à géométrie très variable
Mais en parlant des « universitaires », le recteur semble oublier que, chaque université étant autonome, sa suggestion revient à dire que les « contours » de la liberté universitaire pourront, en toute logique, varier d’un établissement à l’autre, tout comme varient leurs conditions de travail normées (ou non) par une convention collective ! Quel professeur accepterait d’avoir plus (ou moins) de liberté universitaire selon qu’il travaille dans un établissement plutôt qu’un autre ? Et il était inévitable de se voir répéter le mantra de « l’autonomie » comme si de nombreux articles d’opinion et des enquêtes journalistiques n’avaient pas amplement démontré qu’elle est à géométrie très variable.
Quant au « pouvoir d’autocorrection » dont serait capable l’université, il semble avoir sérieusement failli quand le gouvernement a dû adopter, en 2017, la Loi visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur. Rappelons qu’elle a alors imposé aux universités — qui n’avaient ne semble-t-il pas su « autocorriger » leurs pratiques — la création d’une « politique qui a pour objectif de prévenir et de combattre les violences à caractère sexuel ».
Elle stipulait même que cette politique devait être « distincte de toute autre politique de l’établissement » et que ce dernier doit former « un comité permanent […] afin d’élaborer, de réviser et d’assurer le suivi de la politique ». L’article 16 va même plus loin et indique que « tout établissement d’enseignement qui fait défaut de se conformer à l’une des obligations prévues par la présente loi peut se voir imposer des mesures de surveillance et d’accompagnement par le ministre ».
Le recteur semble admettre que des « menaces » existent bel et bien, mais qu’elles seraient « passagères ». On se demande quelle boule de cristal lui permet de formuler sa prédiction, car de très nombreux ouvrages et articles sur les problèmes de liberté d’enseignement, de recherche et de création au sein des universités, parus en Amérique comme en Europe, suggèrent le contraire.
La liberté universitaire étant une condition essentielle de l’accomplissement de la mission universitaire, et la preuve ayant amplement été faite de la frilosité des établissements à la défendre réellement face aux diverses attaques dont elle fait l’objet, on ne voit pas en quoi une loi qui oblige simplement les universités à se doter des mécanismes précis (et non de simples « déclarations ») pour en assurer la défense et la promotion peut sérieusement être présentée comme étant une incursion inacceptable dans la sacro-sainte autonomie des universités.
Quant aux arbres, rappelons que pour les garder en santé et les faire grandir, il faut parfois les émonder.