Poutine c. Zelensky, passé et présent sur la ligne de front

La guerre en cours entre la Russie et l’Ukraine n’est pas seulement un conflit géopolitique entre deux États distincts, c’est aussi une confrontation générationnelle entre deux hommes d’État, deux visions du monde diamétralement opposées.
Les deux présidents appartiennent, chacun, à deux mondes différents : Vladimir Poutine appartient au passé, le monde d’hier, celui du court XXe siècle révolu. Volodymyr Zelensky, quant à lui, incarne plutôt le moment présent, le monde du XXIe siècle espéré, encore à naître de l’Atlantique à l’Oural.
En deux mois de guerre, le président Vladimir Poutine a complètement dilapidé le capital politique qu’il avait accumulé en près de 20 ans à la tête de l’État russe. Jadis homme d’État respecté pour ces réalisations politiques et économiques, il est désormais un criminel de guerre, selon le président américain, Joe Biden, une opinion maintenant partagée par la majorité des pays démocratiques.
Quant au président Volodymyr Zelensky, ancien acteur avant de devenir le président de l’Ukraine en guerre, il est dorénavant plébiscité par 90 % de la population ukrainienne et par une majorité écrasante de démocraties libérales qui reconnaissent en lui un chef de guerre charismatique et un héros national populaire, authentique serviteur de son peuple, aux dimensions déjà plus grandes que nature.
Le clivage générationnel perceptible entre Poutine et Zelensky est également présent à l’intérieur même de la Russie, entre les partisans de Poutine et ses détracteurs. C’est d’ailleurs pourquoi, immédiatement après le déclenchement des hostilités, des dizaines de milliers de jeunes ont quitté la Russie à destination de pays limitrophes où les visas n’étaient pas requis : Turquie, Géorgie, Arménie…
Le dernier Homo sovieticus
Poutine, aujourd’hui âgé de 69 ans, est ainsi le dernier avatar systémique de l’Homo sovieticus. À ce titre, il fut formé, politiquement et idéologiquement, par la plus totalitaire des institutions de l’État soviétique, le fameux Comité pour la sécurité de l’État (KGB, en russe), l’élément central au sein des multiples services de renseignement de l’Union soviétique.
En poste à Dresde, en Allemagne de l’Est, entre 1985 et 1990, Poutine fut alors successivement le témoin paradoxal de la puissance de l’URSS et de son impact prépondérant dans les relations internationales, surtout dans le contexte de la guerre froide américano-soviétique, puis de la diminution sans précédent de cette influence géopolitique, militaire et civilisationnelle singulière après la chute du mur de Berlin en 1989 et l’implosion de l’URSS en 1991. Ce revers de fortune, sans commune mesure pour la grandeur et les velléités impériales de la Russie traditionnelle, devait marquer Poutine d’une manière durable et traumatisante.
Les convictions politico-idéologiques de Poutine, intériorisées durant son service au KGB, l’adhésion au marxisme-léninisme, correspondaient à celles des élites politiques soviétiques de ce temps. Celles-ci étaient jumelées à l’usage de la force brute sans états d’âme ni scrupules excessifs incarnée par l’armée et la police, vues comme un instrument efficace du gouvernement.
Une fois élu président de la Russie en 2000, le cadre de référence idéologique de Poutine se métamorphosa de manière encore plus visible et explicite. Le marxisme-léninisme se mua alors en nationalisme ethnique grand-russe, appuyé sur la religion orthodoxe traditionnelle et la réhabilitation du passé stalinien glorifié par la victoire de l’URSS contre l’Allemagne nazie à la fin de la Deuxième Guerre mondiale.
À notre avis, c’est là son fil d’Ariane ; il explique et justifie, encore aujourd’hui, son objectif politique final, c’est-à-dire la recréation de la Russie impériale, dont l’Ukraine ne constituerait qu’une partie soumise et vassalisée dans l’espace vital du nouveau tsar russe.
L’électron libre
À l’inverse, Zelensky est un électron libre issu de la société civile après l’indépendance de l’Ukraine en 1991. Zelensky est né en 1978. Au moment de la désintégration de l’Union soviétique, Zelensky avait 13 ans. Ses convictions politiques et idéologiques furent façonnées non pas par les institutions de l’État soviétique, mais par un État ukrainien qui se construisit graduellement sur les prémisses du pluralisme politique et une démocratie libérale émergente.
À la suite de la révolution de Maïdan (2014), le virage politique pris par l’Ukraine signifia que le pays tournait désormais ses regards vers l’Union européenne et le parapluie politico-militaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).
Acteur comique, Zelensky se lança ensuite dans la production audiovisuelle. Sa société de production, Kvartal 95, a produit la série télévisée Serviteur du peuple, dans laquelle il interprétait le rôle du président ukrainien. Cette série fut diffusée de 2015 à 2019 et a été immensément populaire auprès du public ukrainien. Profitant du succès obtenu, des employés de Kvartal 95 créèrent un parti politique portant le même nom en mars 2018.
Le soir du 31 décembre 2018, en marge du discours du Nouvel An de Petro Porochenko, président ukrainien en exercice, Zelensky annonça sa candidature à l’élection présidentielle de 2019. Après sa victoire électorale réelle, Zelensky deviendra l’authentique serviteur de tous les citoyens d’Ukraine épris de liberté.
Le droit d’exister
En définitive, la nouvelle orientation euro-atlantique de l’Ukraine démocratique ne fut et ne sera jamais acceptée par Poutine. Cette exigence géopolitique de la Russie de Poutine est semblable, voire identique, à celle de dirigeants soviétiques tels que Nikita Khrouchtchev et Léonid Brejnev, qui sont respectivement intervenus militairement en Hongrie en 1956 et en Tchécoslovaquie en 1968.
Dans l’esprit de l’autocrate russe de ce jour, l’Ukraine appartient à la sphère d’influence russe et doit y rester à tout prix ; l’Ukraine n’a même pas le droit d’exister. C’est compter sans le courage et la volonté de résistance farouche des Ukrainiens, incarnés de façon admirable par leur jeune président Volodymyr Zelensky.