Dormir aux urgences? Vous rêvez en couleur!

Depuis quelques jours, nous sommes privés de 600 lits d’hospitalisation au Québec, soit l’équivalent de deux hôpitaux à l’échelle de la province. Manque d’effectifs infirmiers, fermeture de lits désignés : tous les ingrédients sont actuellement rassemblés pour entraîner un goulot d’étranglement dans la capacité hospitalière. À défaut d’obtenir un lit dans une unité de soins, plusieurs patients devront se résigner à dormir aux urgences, dans des conditions non propices au repos. Bruit constant, lumière vive, absence d’oreillers, manque d’intimité… À croire que dormir aux urgences relève presque d’un rêve inaccessible.
À titre de chercheuse, je m’intéresse aux bienfaits du sommeil, et plus particulièrement à son rôle dans la récupération pendant et après des problèmes de santé nécessitant des soins critiques ou spécialisés. J’ai collaboré à plusieurs chapitres de livres et à des articles professionnels à ce sujet. Une partie importante de ma programmation de recherche porte sur le sommeil après un traumatisme craniocérébral ou en contexte de maladie chronique — deux conditions bien représentées parmi les patients sur civière aux urgences.
Les résultats de mes travaux jumelés aux évidences qui émergent à l’international corroborent les observations faites par les professionnels de la santé, soit que les patients à l’urgence dorment mal. En effet, les patients qui passent la nuit aux urgences ont un sommeil de bien moindre qualité que les patients qui dorment dans les lits d’hôpitaux, et encore bien moindre que ceux qui dorment à domicile les jours précédant l’hospitalisation. Malheureusement, ce manque de sommeil n’est pas sans conséquence pour le patient et sa famille.
Le sommeil, une nécessité pour se préparer à une opération et pour la personne âgée
Le sommeil étant essentiel pour notre capacité à tolérer le stress, le manque de repos aux urgences nuit directement à la récupération à l’hôpital. Pour les personnes en attente d’une opération, un sommeil insuffisant favorise une anxiété élevée, diminue la tolérance à la douleur et augmente la somnolence pendant la journée. Ces éléments combinés entraînent une perte de fonction et compliquent la reprise des activités postopératoires.
Chez la personne âgée, un séjour de plus de 12 heures aux urgences est un facteur de risque indépendant pour le développement d’un état confusionnel aigu. Bien que plusieurs facteurs puissent provoquer cet état, la fragmentation du sommeil aux urgences, même sur une courte période, joue un rôle important dans son apparition. La survenue d’un état confusionnel chez la personne âgée prédispose à la mortalité intra-hospitalière, double la durée de séjour à l’hôpital et augmente le risque de développer une démence dans les 48 mois suivant l’hospitalisation.
Étant donné l’importance du sommeil dans les premières heures d’admission à l’hôpital, nous n’avons plus le loisir d’outrepasser ce besoin fondamental dans nos pratiques de soins aux urgences. Au même titre qu’il ne viendrait pas à l’idée de ne pas fournir de repas aux personnes en attentes d’un lit, la mise en place de mesures favorisant le sommeil dans ce secteur névralgique doit devenir un automatisme.
Des constats précieux et une occasion à saisir
Dans les prochains mois, lorsque nous ferons le bilan des leçons apprises durant la pandémie et que nous serons affairés à reconstruire les pratiques, il faudra faire une plus grande place à la promotion du sommeil dans l’offre des soins. Bien que cela puisse nécessiter des changements organisationnels, des solutions existent et sont à notre portée.
À titre d’exemple, le 13 avril dernier, l’Hôpital général juif annonçait le déploiement d’un programme d’hospitalisation à domicile. Dans le cadre de ce projet pilote, les patients nécessitant des soins actifs pour un problème de santé connu (diabète, insuffisance cardiaque, etc.) et nécessitant peu de nouvelles investigations, pourront se rétablir complètement, et par le fait même dormir, dans le confort de leur foyer. Voici un exemple concret de la façon dont la technologie peut servir à optimiser le repos et la récupération des patients admis aux urgences.
D’ici à ce que notre système de santé soit mieux outillé sur le plan technologique, des mesures très simples peuvent être prises à plus petite échelle. En effet, le bruit, la lumière et l’inconfort de la civière sont les principales barrières à l’obtention d’un sommeil de qualité aux urgences. En Espagne, les milieux qui ont instauré des protocoles systématiques pour réduire le bruit et la lumière la nuit ont rapporté une amélioration notable de la qualité du sommeil chez les patients en attente d’un lit aux urgences.
En attendant que ce type de protocole soit plus courant au Québec, ce ne serait pas une mauvaise idée d’apporter des bouchons d’oreilles, un masque pour les yeux et un oreiller si vous ou votre proche devez passer la nuit aux urgences. À défaut de pouvoir rêver en couleur, vous aurez au moins le réconfort de faire quelque chose pour optimiser votre retour à la santé.
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