Méfiez-vous du «crypto crush»

«De fil en aiguille, ils vont proposer à leurs victimes des conseils financiers, notamment en matière d’investissements en cryptomonnaie, par le biais desquels ils prétendent avoir déjà gagné beaucoup d’argent», écrivent les auteurs.
Photo: Annik MH de Carufel Archives Le Devoir «De fil en aiguille, ils vont proposer à leurs victimes des conseils financiers, notamment en matière d’investissements en cryptomonnaie, par le biais desquels ils prétendent avoir déjà gagné beaucoup d’argent», écrivent les auteurs.

On parle peu, voire pas d’une épidémie qui se propage rapidement dans le monde actuellement. Il ne s’agit pas d’un virus, mais bien d’une pratique qui fait du mal à des milliers de personnes, et qui va jusqu’à même détruire des vies. Il s’agit des arnaques mêlant cryptomonnaie et romance.

Les escroqueries financières existent depuis longtemps. Elles passaient autrefois par les services postaux — par les lettres d’une princesse nigériane ou du fils d’un général qui réclamaient vos coordonnées bancaires pour vous soutirer des millions de dollars, par exemple. Elles sont ensuite passées au téléphone, puis au courrier électronique, prenant là encore diverses formes.

Plus récemment, les arnaques à la romance ont pris racine sur les sites de rencontre, où des personnes seules et sincèrement à la recherche de l’amour se font escroquer par une âme sœur trop belle pour être vraie. Tombée soudainement dans une situation difficile, celle-ci réclame soudain de l’argent de toute urgence. Nous voyons et entendons de telles histoires et nous pensons : « Mais comment les gens peuvent-ils être aussi crédules ? »

Un nouveau stratagème

 

Or, un nouveau type d’escroquerie à la romance, plus élaboré encore et baptisé « pig-butchering », fait rage. Celui-ci est si astucieux que même ceux qu’on n’imaginait jamais tomber dans le panneau tombent comme des mouches. Qui sont ses cibles ? Tous ceux qui ont une application de rencontre sur leur téléphone intelligent.

Outre Tinder, la plus utilisée d’entre elles, il existe une multitude d’applications de rencontre : pour les hétérosexuels, pour la communauté LGBTQ+ et pour différents groupes ethniques ou religieux, par exemple. Elles exposent des centaines de millions de personnes sans méfiance à des fraudes potentielles. On en voit aussi qui passent par Facebook et Instagram, ou même par des sites professionnels comme LinkedIn.

Y trouve-t-on surtout des « catfish » solitaires qui envoient des messages depuis le sous-sol de leurs parents ? Non, la plupart des auteurs de ces nouvelles arnaques travaillent en bandes criminelles organisées. Ils disposent d’experts en profilage psychologique qui utilisent les algorithmes et des scénarios élaborés pour amener progressivement les utilisateurs sans méfiance à tomber amoureux d’un professionnel apparemment beau, riche, et, bien entendu, à la recherche d’une relation à long terme.

De fil en aiguille, ils vont proposer à leurs victimes des conseils financiers, notamment en matière d’investissements en cryptomonnaie, par le biais desquels ils prétendent avoir déjà gagné beaucoup d’argent. Une fois qu’ils ont gagné la confiance — et l’affection — d’une victime, cette dernière et l’escroc sont invités à investir ensemble, obtenant pour l’occasion des rendements encore plus élevés. Le hic ? Seul l’argent de la victime est réel, celui de l’escroc ne l’est pas.

L’arnaque lente

Ce type d’escroquerie prend au moins quelques jours, voire quelques semaines pour se mettre en place. Au départ, la victime investira une petite somme d’argent et obtiendra un excellent rendement, probablement de 30 % ou plus. Elle pourra même retirer cet argent du faux site d’investissement mis en place par les experts techniques de l’équipe, ce qui l’encouragera à se faire plus audacieuse et à investir des sommes toujours plus importantes, seule ou avec sa nouvelle âme sœur.

Là encore, un rendement important s’affichera sur l’écran de la victime, mais si elle essaie de le retirer, on lui dira soudain qu’elle doit payer une taxe ou une surtaxe afin de pouvoir libérer les fonds. Si elle choisit de le faire, un autre montant lui sera réclamé pour retirer son investissement initial.

À ce stade-ci, la plupart des gens n’auront plus qu’une idée en tête : récupérer leur argent. Ils seront même prêts à jeter « le bon argent après le mauvais », comme on dit. C’est généralement à ce moment-là que la victime fait appel à l’homme ou à la femme de ses rêves, celui ou celle avec qui elle s’imagine encore passer le reste de sa vie, même si elle ne l’a jamais rencontré en personne jusqu’à présent. Or, ce nouveau partenaire s’avère maintenant incapable de l’aider, il se fait étrangement distant, voire introuvable. Un Montréalais victime de cette nouvelle arnaque a perdu près de 400 000 dollars, selon un reportage de CBC News.

De nouvelles cibles

 

La plupart des organisations criminelles qui commettent ces escroqueries, mais pas toutes, sont originaires de Chine. Au départ, la plupart de leurs victimes étaient aussi chinoises. Dans ce pays, on parle de « sha zhu pan », ou système de dépeçage de porcs, car les escrocs « engraissent » lentement le porc avant de l’« abattre ». Cependant, les Chinois ont pris conscience du phénomène, et le gouvernement du pays a pris des mesures contre les gangs, les forçant à exercer leurs activités ailleurs.

Aujourd’hui, ils se trouvent dans diverses parties du monde, principalement en Asie du Sud-Est, et ils tendent leurs filets vers l’Europe, l’Amérique du Nord et ailleurs. La pandémie de COVID-19 a exacerbé le problème, l’isolement social étant à son comble. Elle donne également aux escrocs une bonne excuse pour ne pas proposer de rencontre en personne.

On estime que 14 milliards de dollars ont été perdus dans des arnaques aux cryptomonnaies dans le monde entier. Vous n’en saviez rien ? Il semble que ce soit un secret bien gardé, en partie parce que de nombreuses victimes — dont certaines sont des professionnels intelligents, aisés et ayant le sens des affaires — sont trop honteuses pour se manifester, mais aussi parce que les gouvernements et les institutions financières ne mettent pas en garde le public.

En cas de doute, il vaut mieux encore « swiper » à gauche sur les sites de rencontre !

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