De l’importance de distinguer l’artisan du producteur industriel

L’éparpillement, le désengorgement et, surtout, l’autonomisation des sites d’élevage pourraient bien constituer l’antidote qu’il nous faut à de nombreux problèmes sanitaires et écologiques, écrit l’auteur.
Photo: iStock L’éparpillement, le désengorgement et, surtout, l’autonomisation des sites d’élevage pourraient bien constituer l’antidote qu’il nous faut à de nombreux problèmes sanitaires et écologiques, écrit l’auteur.

Alors que certaines associations ont choisi de faire peu de cas d’un projet pilote d’abattage à la ferme, certaines autres ont laissé entendre que l’initiative, annoncée il y a quelques semaines par le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), André Lamontagne, manquait de mesures réglementaires et faisait fi du contexte de la grippe aviaire qui sévit au Québec et ailleurs.

Précisons d’abord une chose. Ayant moi-même été, avec Amélie Dion, instigateur du Projet pilote pour les producteurs artisanaux — projet qui comprend deux volets : l’abattage à la ferme et la transformation de lait cru en produits cuits — et ayant participé activement à son échafaudage jusqu’à maintenant, je peux vous assurer que le MAPAQ n’a pas lésiné sur l’étude des risques associés à de telles pratiques. Surtout, il faut savoir que l’arrêté ministériel qui en a découlé est loin d’un règlement qui laisse n’importe qui faire n’importe quoi n’importe comment !

À n’en pas douter, si ce projet pilote est couronné de succès, il s’agira d’un gain majeur pour le Québec. Il pourrait même devenir une des pierres angulaires de la réappropriation de notre territoire par une néoagriculture entrepreneuriale, transformatrice, rentable et agroécologique.

Ensuite, pour avoir entendu de nombreux avis d’experts à l’occasion de ma participation cet hiver aux audiences publiques devant la Régie des marchés agricoles, où on a brandi le spectre de la biosécurité ad nauseam pour tenter de remettre en question le sérieux des pratiques artisanales, je dois rappeler que l’ampleur du danger « biosécuritaire » dans l’élevage est fonction de plusieurs facteurs. Parmi ceux-là, on compte la taille des cheptels et la concentration des exploitations dans une même région, ainsi que la promiscuité et le stress dans lequel les animaux baignent trop souvent dans « l’industrie ».

Le danger de transmission de maladies aviaires d’un site d’élevage à un autre est quant à lui exacerbé par le va-et-vient continu qui a cours entre les maillons de cette industrie dont les divers éléments se trouvent interconnectés. Par exemple, entre les pourvoyeurs de biens (poussins d’un jour, aliments, litières, médicaments, équipements) et les services (vendeurs, inspecteurs, travailleurs, réparateurs, experts) qui visitent les fermes pour leur fournir tous ces intrants dont ils dépendent absolument et par ces nombreux transporteurs qui viennent cueillir les bêtes, et leurs déjections, pour les emmener ailleurs.

Il ne fait pas de doute que l’éparpillement, le désengorgement et, surtout, l’autonomisation (lire ici : la reproduction, la production, la transformation et la vente en un même lieu) des sites d’élevage pourraient bien constituer l’antidote qu’il nous faut à de nombreux problèmes sanitaires et écologiques que nous connaissons déjà et qui nous guettent toujours.

Côté timing, n’en déplaise à ceux qui redouteront toujours le changement, je ne vois pas de meilleur moment que maintenant pour considérer les limites de l’agriculture traditionnelle et la nécessité d’embrasser au plus sacrant la révolution agroécologique et les néoagriculteurs, petits et grands, qui sont prêts à la mettre en marche.

En effet, si l’agriculture d’intrants dépendante, « biofragile », expose quasi hebdomadairement les dangers qu’elle représente pour l’environnement, la santé publique et le bien-être animal, c’est peut-être parce qu’elle est arrivée au bout du rouleau.

Maintenant plus que jamais, il faut appuyer l’idée d’un territoire occupé par une multitude de fermes de tailles diverses qui pratiquent une agriculture diversifiée responsable et qui auront les moyens de nourrir les communautés locales.

Maintenant plus que jamais, il faut comprendre la nécessité d’établir des agroécosystèmes qui sont écologiques donc pérennes, diversifiés donc résilients, fréquentables donc nourriciers.

Maintenant plus que jamais, il faut s’élancer vers une réappropriation de nos savoir-faire et encourager l’apparition d’une agriculture entrepreneuriale qui permettra autant la reproduction que la production, que la transformation, que la vente en un même lieu.

Et je vois difficilement meilleure façon d’en arriver là qu’en organisant des projets pilotes comme celui qui vient d’être annoncé ce printemps.

Comme l’avait dit Marc Séguin en 2017 dans La ferme et son État, il fallait d’abord et avant tout une volonté politique pour que les choses commencent à changer. Elle y est. Prêts pour le changement ? Moi, oui, je le suis !

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