La conservation du caribou forestier n’est pas un enjeu politique

Plusieurs scientifiques dénoncent depuis des années l’attitude et le déni du gouvernement du Québec, des gouvernements antérieurs et d’autres gouvernements au Canada relativement à la protection du caribou forestier, une espèce menacée au Canada depuis 2003 et vulnérable au Québec depuis 2005. Au-delà de son statut légal, cette espèce joue depuis toujours un rôle crucial pour les nations autochtones de la forêt boréale. Faisant fi des avis scientifiques, le gouvernement du Québec a permis l’aménagement forestier dans des habitats essentiels identifiés par des experts du caribou et des représentants autochtones.
Il nous paraît inconcevable qu’en 2022, on politise les efforts requis pour protéger une espèce menacée, alors que l’on tient depuis des décennies, tant au Québec qu’au Canada, un discours public favorable à la conservation de la biodiversité. Le Canada est d’ailleurs signataire de la Convention sur la diversité biologique des Nations unies, qui repose entre autres sur « l’utilisation durable de la diversité biologique ». Dans le cas du caribou forestier, les hardes isolées de Val-d’Or, de Charlevoix et de la Gaspésie sont aujourd’hui à la marge de l’extinction.
Les scientifiques universitaires et du gouvernement savent ce qui doit être fait pour conserver le caribou forestier, et cela implique avant tout la protection de grandes superficies de forêts matures. Les risques que l’aménagement forestier fait peser sur la viabilité de ces hardes ont été clairement signifiés au ministère de la Forêt, de la Faune et des Parcs depuis bon nombre d’années, sans que ces mises en garde ne se traduisent en actions par les décideurs politiques.
Par l’absence d’application de mesures efficaces, le gouvernement du Québec a fermé les yeux sur le déclin de ces hardes, et le manque d’actions concrètes menace aujourd’hui d’autres populations de caribous plus au nord. La mise en enclos n’est qu’un écran de fumée si le ministère ne développe pas une stratégie cohérente de restauration d’habitat et de rétablissement pour chacune de ces hardes. Puisque plusieurs années seront nécessaires à la restauration de l’habitat du caribou en forêt boréale, la simple mise en enclos n’apparaît pas viable et ne s’appuie pas sur des données scientifiques probantes.
Le gouvernement du Québec doit accepter la dure réalité : sa gestion de la forêt boréale n’est pas écologiquement durable puisqu’elle mène irrémédiablement à la disparition du caribou forestier. Par ailleurs, le gouvernement du Québec fait fi des solutions de gestion durable des forêts que la communauté scientifique préconise depuis plus de 20 ans et qui sont garantes de la préservation de la biodiversité au moyen de pratiques de récolte diversifiées et de stratégies d’aménagement qui comportent la rétention permanente d’une plus grande proportion de forêts matures.
Ces solutions auraient déjà dû être mises en place il y a plusieurs années. Prétendre le contraire équivaut à nier l’évidence, tandis que l’opposition entre caribous et emplois témoigne d’un électoralisme qui n’a plus sa place dans notre société.
* Ont aussi signé cette lettre : Alexis Achim (Université Laval), Jérôme Cimon-Morin (Université Laval), Steeve Côté (Université Laval), Pierre Drapeau (UQAM), Daniel Fortin (Université Laval), Fanie Pelletier (Université de Sherbrooke), Denis Réale (UQAM), Martin-Hugues St-Laurent (UQAR) et Jean-Pierre Tremblay (Université Laval)