Plaidoyer pour la démocratisation de la santé mentale

L’état des lieux en santé mentale au Québec est un véritable scandale. Le citoyen qui est vulnérable psychologiquement et fragilisé financièrement par la pandémie est déchiré entre un pôle de services publics, auquel il a de moins en moins accès, et un pôle de services privés, qu’il peine à s’offrir. Deux logiques de soins diamétralement opposées (soit le libre marché tous azimuts contre la régulation étatique rigide) mènent dans une même impasse, soit une saturation prématurée des services.
De fait, les personnes vulnérables sont captives d’un réel carrousel. Elles arrivent souvent dans les services publics après avoir reçu des services privés qu’elles ne peuvent plus assumer financièrement. Elles sont parfois orientées vers les services privés eux-mêmes, après un cadre rigide de rencontres dans les services publics. Il n’est pas rare qu’elles aient même erré entre quelques rencontres en PAE (programme d’aide aux employés), quelques poursuites de rencontre par l’entremise de leurs assurances, et quelques rencontres de services généraux tous types confondus (GMF, collégial ou universitaire, etc.). Certaines personnes reviennent même vers les services privés après avoir reçu des services spécialisés en milieu hospitalier, ou suivent les deux voies en même temps.
Les listes d’attente ne sont plus représentatives de la réalité populationnelle. Tout le monde tire (et se tire !) partout à la fois. Les listes sont doublées, voire triplées et peut-être même quadruplées. Certaines sont silencieuses, dans les services privés, par exemple. D’autres sont systématiquement révisées par des professionnels affairés,en bons mandarins.
Les guichets d’accès s’enlisent de manière endémique. Ce sont de nouvelles « portes tournantes » du réseau.
L’éternelle question de la « première ligne » est au cœur de ce scandale. Elle ne trouve aucune solution viable dans l’horizon politique actuel.
Trois mythes
Trois mythes entourant la gouvernance conduisent à l’impasse. Ces mythes obtiennent pourtant des résultats de gestion moins que probants depuis la modernisation de la psychiatrie, dans les années 1960.
Le premier mythe concerne l’agencement des services selon une logique hiérarchisée (première, deuxième et troisième lignes). Cette hiérarchie ne s’est jamais concrétisée. Promulgué par la réforme Castonguay-Nepveu (dans les années 1970), cet idéal vertueux est en fait le fruit d’un entêtement structurel. Le carrousel auquel les personnes en demande de services se butent en fait foi. L’intégration des services en santé mentale est un échec malheureux. En santé mentale, il faut reculer et abandonner la réforme Barrette.
Le second mythe provient de la toute-puissante technocratie. Les plans d’action en santé mentale (politique de 1989, PASM [Plan d’action en santé mentale] 1998, 2005 ; PAISM [Plan d’action interministériel en santé mentale] 2022 ; et PQPTM [Programme québécois pour les troubles mentaux]) n’ont eu que très peu d’impacts réels. S’ils donnent de grandes lignes directrices louables, ils n’engagent par eux-mêmes aucun changement structurel viable.
Pour la « première ligne », le PAISM 2022 est d’une rare éloquence. Il n’offre aucune direction. Il renvoie au PQPTM. Pourtant, celui-ci est un énième calque de structures télégraphiées sur un modèle de soins défaillant. (Autre petit mythe de la santé au Québec : les solutions viennent d’ailleurs !) Directement importé de l’Angleterre, le PQPTM décrit une trajectoire de soins, mais ne corrige pas l’infrastructure fissurée du réseau. Peut-on alors véritablement espérer que la carte, qui ne correspond pas à son territoire, nous mène au bon port ?
Le troisième mythe prétend que la solution viendra par le financement. Depuis le début de l’État-providence (il y a presque 70 ans déjà !), on observe un mouvement de balancier : on finance le réseau, pour ensuite le définancer, puis le refinancer et le redéfinancer, et ainsi de suite. À gauche comme à droite, l’aspect financier est présenté comme la solution idéale. Les uns diront qu’il n’y a pas assez de ressources, les autres répondront qu’il y en a trop, mais qu’elles ne sont pas assez efficaces. Malgré des investissements et des achats de services en pleine pandémie, cette solution ne résout aucun problème.
Le cœur du problème est évident. La santé et la santé mentale sont prisonnières des orientations politiques et idéologiques des partis au pouvoir. Les réformes se suivent, se contredisent, mais se ressemblent fondamentalement. Aucune réforme n’a eu d’imputabilité populationnelle réelle. Aucune réforme n’a été décidée par elle-même par la population concernée ! Laisser aux partis politiques la gestion des orientations de la santé, par le truchement, entre autres, de nominations sans aucune imputabilité de la part des hautes instances en matière de gouvernance, aura été l’erreur fondamentale qui a nourri les impasses répétées en santé.
Soyons clairs : les patients crient à nouveau au secours. Pour répondre à leur appel, et si nous voulons des soins de santé collectifs durables, il faudra être audacieux et repenser la démocratisation de la santé et de la santé mentale.
Précision: Cet article a été mis à jour pour bien indiquer que le terme PASM désigne un Plan d’action en santé mentale.