La violence socioéconomique

Pendant des années, madame X a loué un logement de son triplex à une personne à faible revenu pour la modique somme de 500 $ par mois. Lorsque cette dernière quitta les lieux, en 2018, madame X entreprit de « rattraper » le marché immobilier. Elle apporta donc quelques petites modifications et légères améliorations à l’appartement en question. Elle changea le meuble-lavabo de la salle de bains pour un neuf de chez IKEA, acheta les meubles de l’ancienne locataire afin, dorénavant, de louer ledit logement « tout meublé », « tout équipé ». Du jour au lendemain, bang !, le « nouveau » logement mis « au goût du jour » et « amélioré » était disponible sur le marché pour 900 $ par mois, soit une augmentation de 80 %.
Est-ce qu’une autre personne à faible revenu peut maintenant habiter ce logement ? Évidemment que non, à moins d’arrêter de manger. Est-ce que les revenus des travailleurs ont augmenté autant, leur permettant de suivre le marché ? Non. Mais que voulez-vous, c’est ça, le marché immobilier.
C’est là, somme toute, une histoire banale. Chaque jour, un peu partout au Québec, se déploient sous nos yeux d’innombrables histoires semblables. Des locataires quittent un logement ou, pire, sont évincés, ou « rénovincés », et les loyers augmentent de manière fulgurante, substantielle, voire exponentielle, en quelques jours à peine. Comme madame X, bon nombre de propriétaires ont décidé, au cours des dernières années, de « révover » un logement, de rattraper le marché et, après quelques heures de travail et des bricoles, ils en augmentent le loyer de 50 %, de 80 %, de 100 %, voire de 200 %. Qui, de toute façon, peut les en empêcher ? C’est leur immeuble à eux. Ce sont de fiers et prospères propriétaires ! Ils ont travaillé fort et c’est la loi du marché, dans les faits, qui gère l’immobilier.
Et ces gens, disons-le, sont de « bonnes personnes ». Ce ne sont pas de vulgaires exploiteurs immobiliers, des carnassiers assoiffés de profits. Ce sont (du moins ils se disent) des progressistes-féministes-environnementalistes-indépendantistes, bref, « tout le kit », des sociaux-démocrates qui mangent des produits bios, locaux et vraiment équitables. Mais où, bordel, sont donc rendus les humanistes ? Car, au final, en remuant tous ces « ménages » québécois, en « rénovant » ces petits 3 et demie aussi mal insonorisés qu’auparavant, on a oublié les gens qui habitent dedans, les êtres humains.
Chaque jour qui passe, les personnes à faible revenu subissent directement cette violence socioéconomique, incapables qu’ils sont de dénicher un simple logement abordable, convenable, potable, incapables de se reloger, de déménager. Mais, comme l’affirmait récemment le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, il faut bien augmenter le niveau de vie des Québécois, « rattraper » le marché immobilier canadien, s’enrichir un brin. Oui, mais à quel prix ? Plus important encore, qui en paie injustement le prix ? Ai-je mentionné que madame X vit un enfer avec la nouvelle locataire qui habite au-dessus de sa tête à 900 $ par mois ? Oui, la violence socioéconomique a un prix. La révolte gronde un peu partout. La sentez-vous ?