En finir avec le «gaslighting» du gouvernement Legault

«L’affirmation «Même si on l’attrape, ça donne un rhume» témoigne d’une réalité individuelle. En faire une règle générale quand on est premier ministre est irresponsable», écrit l'autrice.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne «L’affirmation «Même si on l’attrape, ça donne un rhume» témoigne d’une réalité individuelle. En faire une règle générale quand on est premier ministre est irresponsable», écrit l'autrice.

Rédactrice et citoyenne engagée, l’autrice est présidente du conseil d’établissement d’une école primaire. Elle a enseigné la littérature au collégial, est membre du comité de rédaction de Lettres québécoises et a coécrit et codirigé l’essai collectif Traitements-chocs et tartelettes. Bilan critique de la gestion de la COVID-19 au Québec (Somme toute).

« Même si on l’attrape, ça donne un rhume, à peu près. » Cette déclaration de François Legault, fraîchement sorti de son isolement COVID, a fait bondir. Si même notre premier ministre ne prend plus le SRAS-CoV-2 au sérieux parce que sa petite expérience personnelle avec la maladie a été douce, qui le fera ? Jamais le personnel de la santé n’a été contraint au travail par un arrêté ministériel à cause d’un « rhume », jamais des opérations pour des cancers n’ont été reportées à cause d’un rhume, jamais des hordes de patients n’ont vu leurs capacités cognitives décliner et le souffle leur échapper peut-être pour toujours à cause d’un rhume. La COVID n’est pas un rhume, c’est ce que s’évertuent à expliquer, avec pédagogie, les spécialistes aux complotistes et résistants à la vaccination depuis deux ans.

Affirmer le contraire quand on est à la tête d’une province est une claque au visage de toutes les personnes dont la vie a été brisée par le virus, de toutes les personnes qui ont perdu un proche à cause de cette maladie. Pareille déclaration nie leur vécu, écarte du revers de la main leur souffrance et contrecarre du même coup les efforts de tous ces médecins, intensivistes et immunologues qui éduquent la population avec patience et dévouement. Pour faire court, affirmer que la COVID « est juste un rhume » est du gaslighting pur — et l’équipe Legault n’en est malheureusement pas à ses premiers faits d’armes en la matière.

Le terme vient du film américain Gaslight, en 1944, dans lequel un homme baisse en catimini l’intensité des lumières au gaz de la maison, ce que sa femme, campée par Ingrid Bergman, remarque bien entendu. Or, il nie le phénomène, lui faisant croire qu’elle est folle pour mieux la manipuler. « Non, ma chérie, les lumières ne fluctuent pas, que vas-tu donc penser ? »

C’est ce à quoi joue le gouvernement depuis quelques mois. Alors qu’il est au volant et que c’est à lui qu’incombe la responsabilité d’implanter des solutions, non seulement pour réduire la circulation du virus mais aussi pour soutenir le personnel de la santé, il détourne la tête. Pire encore, depuis janvier, il scande les mots « circulez, il n’y a rien à voir, le virus a évolué, ce n’est plus la COVID comme avant, il faut désormais vivre avec ».

Pendant ce temps, les personnes immunodéprimées et les patients incapables d’obtenir une consultation parce qu’ils ont développé une COVID longue durée s’accumulent, crient dans le désert, ragent — tout comme les travailleurs de la santé, submergés, qui paient les pots cassés. Et c’est encore plus vrai depuis que la CAQ s’est mise sur le mode électoral et que ses réseaux sociaux se sont transformés en festival de l’annonce étincelante, où la fierté ruisselle encore plus qu’en temps normal — ce qui n’est pas peu dire.

Détournement cognitif répété

 

« C’est important de rester solidaires, de faire preuve de bienveillance et d’empathie avec la pandémie. Le mouvement @madosedamour a été initié par trois infirmières d’expérience qui s’inquiètent du moral de leurs collègues. C’est vraiment une belle idée. » Ce gazouillis de François Legault a été publié le 5 février 2022 en soutien aux travailleurs de la santé à bout de souffle… Laisser le virus courir est la décision du gouvernement. Or, cela mène à la surcharge du système de santé et à l’adoption d’arrêtés qui obligent notamment le personnel à annuler ses vacances.

Appeler à la bienveillance et à l’empathie quand c’est nous qui avons les outils pour changer les choses ? Quand nous pourrions concrètement poser des actions bienveillantes et empathiques ? Gaslighting. Encore plus quand ce message est rédigé le lendemain du lancement de la campagne « Mobilisées pour être payées » par la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ).

Le directeur national de santé publique par intérim s’amuse lui aussi avec les lumières des consignes sanitaires ces jours-ci. Après avoir encouragé les gens à sortir d’isolement après cinq jours, une décision décriée par les virologues parce qu’essentiellement économique dans un contexte de manque de main-d’œuvre, voilà que le docteur Boileau change de discours. « La période où l’on peut être contagieux, c’est dix jours. […] Pas le temps d’aller au restaurant, dans des spectacles, des activités sportives, dans des bars ni de chanter. »

C’est vrai, bien entendu, mais il y a de quoi disjoncter quand on a passé des semaines à se faire dire le contraire… et cela s’applique également aux spécialistes, qui en ont marre de ces 180 degrés communicationnels si faciles à éviter : les cinq jours ont toujours été arbitraires, jamais basés sur la science. Pourquoi prétendre le contraire ? En début de semaine, le Dr Boileau a poursuivi son manège en affirmant que le masque chirurgical suffisait à protéger, que le masque N95 était difficile à porter et, flammèches en vue, qu’il n’y avait pas de transmission dans les écoles !

Rendu là, quiconque ne se laisse pas endormir par ces faux discours est un peu Ingrid Bergman. La confusion règne, les cernes se creusent et l’écœurantite enfle, alors que nos dirigeants reconduisent pour la 107e fois l’état d’urgence.

Tel le Pharmakon de Platon, l’équipe Legault est à la fois le poison et le remède… Sauf que ce second se fait de plus en plus rare par les temps qui courent. L’affirmation « Même si on l’attrape, ça donne un rhume » témoigne d’une réalité individuelle. En faire une règle générale quand on est premier ministre est irresponsable, comme l’ont fait remarquer de nombreux médecins.

Je laisse par ailleurs le mot de la fin à l’un d’eux : « Le plus ironique, c’est que le gouvernement reprend les arguments que les négationnistes utilisaient au début de la pandémie. Le PM aurait plutôt dû dire que sa COVID a été légère parce qu’il était triplement vacciné. On se sent impuissants. » Nous aussi, doc.

Et sans doute aussi les proches des trente personnes dont on a rapporté la mort hier.

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