Le malaise de l’équilibriste

L’annonce du projet Bay du Nord par le gouvernement Trudeau provoque un véritable malaise, particulièrement après les conclusions du dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat).
Il y a quelque chose de profondément frustrant pour l’électorat progressiste du pays qui voit un parti censé s’opposer aux politiques résolument pro-pétrole du mouvement conservateur, mais qui change son fusil d’épaule ou joue à l’équilibriste lorsque vient le temps des décisions.
Le malaise était évident chez le ministre Guilbeault durant les entrevues qu’il a données. Le pauvre a été incapable de répondre lorsqu’on lui a demandé si lui, personnellement — en tant qu’ancien écologiste —, aurait pris la même décision. La tentative d’éluder la question est une réponse en soi. Doutons qu’il aurait pris cette décision, car le projet nous éloigne encore des cibles environnementales annoncées il y a à peine une semaine.
L’excuse avancée : « Il faut représenter les intérêts de TOUS les Canadiens. » C’est bien beau, la solidarité ministérielle, mais quand un compromis va à l’encontre des engagements de son propre gouvernement et que cela travestit les responsabilités de protection qui incombent au ministère de l’Environnement, c’est une autre histoire.
Avez-vous souvent vu un ministre des Finances mettre autant d’eau dans son vin pour tenir compte des intérêts des autres ministères ? Les conservateurs font-ils autant d’efforts pour plaire aux progressistes quand ils sont élus ? Faudrait-il que le président Biden fasse des concessions aux trumpistes pendant son mandat ? Pensez-vous que Trump en ferait autant durant le sien ?
L’impression générale de plusieurs citoyens et la tendance lourde que l’on observe, c’est que l’économie prévaut sur l’environnement, et ce, peu importe le gouvernement en place au Canada. Pourtant, les choix économiques et le respect de l’environnement n’ont pas à s’opposer, ils peuvent cohabiter dans des projets bénéfiques pour les deux. Voilà l’essence des recommandations du GIEC : cesser d’investir ou d’autoriser des projets sans tenir compte des externalités négatives.
La décision malheureuse en ce qui concerne le projet Bay du Nord est un exemple de ce qu’il faut cesser de faire. Au diable les experts indépendants du GIEC et leurs recommandations, on fait de la politique à court terme. Tant pis si la cohérence n’est pas au rendez-vous, il faut s’assurer d’être réélu. Cette logique électorale est problématique pour le progressisme en général. Tous les quatre ans, l’électorat progressiste doit faire face au même dilemme : laisser gagner les conservateurs qui ne se cachent même pas pour dire qu’il faut privilégier l’économie au détriment de l’environnement ou voter pour les libéraux pour… pourquoi au juste ? Parce qu’ils vont au moins nous faire un beau show de boucane ?
La réalité, c’est qu’ils prennent des décisions semblables, simplement plus diluées ou mieux maquillées. Les progressistes sont perdants ou un peu moins perdants, mais rarement gagnants. Un pas en avant, deux pas en arrière, et ainsi va la valse !
On se demande ensuite pourquoi la population est désengagée politiquement et désabusée à l’endroit des politiciens. Toute cette histoire soulève un constat important : actuellement, et depuis trop longtemps, l’environnement et le social sont au service de l’économie, alors que fondamentalement c’est l’économie qui devrait être au service du social, dans les limites imposées par l’environnement. Bref, l’économie doit servir à maximiser le bien-être, pas à maximiser les profits.
Ce paradigme pourrait guider chacune de nos décisions collectives. La croissance à tout prix n’a plus sa place en 2022. M. Guilbeault, rappelez-vous pourquoi vous avez fait le saut en politique. Était-ce pour jouer le jeu ou pour changer les règles du jeu ?