Le plan Guilbeault, une caution pour la renaissance de l’industrie fossile

Le Plan de réduction des émissions pour 2030 du gouvernement Trudeau ne devrait pas confondre ceux et celles qui défendent la justice climatique. Sa cible de réductions des émissions (-40 % par rapport au niveau de 2005) est bien en deçà de ce qui est recommandé par le dernier rapport du GIEC pour le Canada (-57 % pour la même période). De surcroît, ce plan prévoit que les deux principaux secteurs responsables des GES du Canada (l’industrie des énergies fossiles et les transports) n’auront pas à respecter la cible globale du plan. Du point de vue de la grave réalité climatique, ce plan n’est que de « l’air pur », comme le dit si bien son sous-titre.
Les experts fédéraux ont reconnu que, malgré les apparences de ce plan, la production d’hydrocarbures allait augmenter, tandis que le GIEC vient tout juste d’affirmer que leur usage devait chuter de 60 % pour le pétrole et de 45 % pour le gaz d’ici 2050. Selon le Cascade Institute, les prévisions de production du seul secteur fossile au Canada d’ici 2050 représentent 16 % du budget carbone restant de toute la planète. Les grandes banques canadiennes comptent bien contribuer à cette croissance des émissions, puisqu’elles ont augmenté leurs investissements dans les énergies fossiles de 70 % en 2021.
En prenant acte de la richesse du Canada et de sa responsabilité historique, il faudrait plutôt planifier la fermeture de l’industrie du pétrole et du gaz d’ici 2034, comme le recommande une récente étude de l’Université de Manchester. D’un point de vue social, plus nous attendons pour reconvertir ce secteur, plus brutal sera le choc pour les travailleurs et les travailleuses.
Miser sur des technologies hypothétiques
Alors que le dernier rapport du GIEC nous exhorte à procéder à une « réduction immédiate et draconienne » des émissions en priorisant le secteur fossile, le plan Guilbeault ne parle que d’améliorer la « compétitivité carbone » du secteur afin de rester « concurrentiel » sur « le marché mondial ». Réduire « l’intensité carbone » de chaque baril de pétrole ne fera pas diminuer la production, mais au contraire en garantira l’expansion, comme le veut l’effet rebond courant dans notre économie capitaliste. C’est d’ailleurs ce qui se passe depuis 2005, quand la réduction de l’intensité carbone de 20 % du secteur a accompagné une croissance des émissions de 137 %.
Si le plan évoque l’idée de « plafonner les émissions » du secteur, aucune cible ni aucun moyen précis ne sont encore clairement annoncés pour le respecter. De plus, il est clairement indiqué que ce plafond n’a pas pour objectif « d’apporter des réductions de la production ». Il est donc fort probable, comme le veut l’industrie, que les émissions liées à la combustion des carburants fossiles, pourtant les plus importantes et inhérentes à leur usage, soient exclues de ce plafond. C’est pourtant précisément par ce moyen que le gouvernement fédéral dispose du pouvoir constitutionnel lui permettant de contraindre la fermeture graduelle de l’industrie, contrairement à ce qu’a récemment prétendu M. Guilbeault.
Au contraire, le gouvernement dit explicitement qu’il travaillera à « maximiser les possibilités d’investissement continu dans le secteur ». Par ailleurs, en évitant de contraindre sérieusement le secteur des transports et en ne prévoyant aucun investissement supplémentaire pour le transport en commun, le gouvernement fédéral garantit aux pétrolières une source d’écoulement pour leurs produits.
À l’évidence, les promesses de réduction des émissions du secteur fossile reposent toutes sur les technologies hypothétiques de capture et de stockage du carbone. Avec l’argent public, le gouvernement financera les investissements dans cette technologie, qui n’a pas du tout fait ses preuves, au profit de l’industrie privée.
De surcroît, comme le disait si bien Tristan Goodman, un des dirigeants de l’industrie fossile canadienne, la capture du carbone et la rhétorique de la « carboneutralité » constituent la base de la « renaissance » du secteur du pétrole et du gaz. Prétendre produire du pétrole « vert » ou « carboneutre » revient à vouloir faire la guerre sans tuer personne. Bref, ce plan est surtout la caution verte d’un secteur en crise de légitimité, plutôt qu’un véritable plan de réduction des émissions de GES.
Contre la privatisation de notre avenir
Soyons clairs : la crise écologique n’est pas une occasion d’affaires. Nous sommes face à un dilemme historique qui oppose la survie d’un système qui génère et protège l’extrême richesse d’une poignée d’individus à la préservation des conditions de la vie humaine sur Terre.
En raison de sa responsabilité et de ses moyens financiers titanesques, le secteur pétrolier et gazier est le premier à devoir se reconvertir complètement. Comme cette conversion va à l’encontre de ses intérêts, il va falloir lui forcer la main et s’organiser contre cette privatisation de notre avenir. C’est là tout le sens des luttes politiques à mener.
Heureusement, les jeunes ne sont pas dupes des parades du ministre Guilbeault : déjà, les mouvements de grève en faveur du climat reprennent et vont s’intensifier. Nous le savons, il faudra d’autres printemps pour assurer la justice climatique.