Une guerre qui ravive la flamme du gaz et du pétrole

Alors que sévit la guerre en Ukraine, nous nous inquiétons de la précipitation de l’industrie canadienne des hydrocarbures et du gouvernement fédéral à vouloir profiter de nouveaux marchés européens. Si les projets annoncés vont de l’avant, qu’adviendra-t-il des engagements formels du Canada et du Québec en contexte de crise climatique ? Que restera-t-il des démarches démocratiques qui ont permis l’évaluation environnementale rigoureuse de différents projets d’exploration et d’exportation de gaz naturel liquéfié et de pétrole au cours des dernières années ?
Rappelons que le Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) a donné un avis négatif fort documenté publié en mars 2021 concernant le projet de GNL Québec (GNLQ) : celui-ci « pourrait constituer un frein à la transition énergétique sur les marchés visés par le projet ». L’achat à long terme de ce gaz naturel d’origine fossile « aurait pour conséquence de verrouiller les choix énergétiques des pays clients et, conséquemment, les émissions de GES associées à la combustion du gaz naturel qui y serait livré ». Ainsi, « la transition de ces pays vers une économie sobre en carbone pourrait en être retardée ».
Le contexte de guerre
Profitant du contexte de la guerre en Ukraine, GNLQ et le premier ministre de l’Alberta suggèrent qu’il faudrait remettre en question des décisions prises à l’issue de processus de consultation éprouvés et encadrés par des lois provinciale et fédérale. L’industrie des hydrocarbures adopte ainsi des mesures que Naomi Klein, essayiste, réalisatrice et altermondialiste canadienne, associe à la stratégie du choc (The Shock Doctrine).
Klein utilise le terme dans un sens plus large que nous le ferons ici pour analyser comment des « traitements de choc » introduits supposément pour « aider » une économie à se redresser (par exemple, une dérégulation très rapide, la privatisation de services ou des réductions massives des dépenses gouvernementales) permettent à des intérêts privés de canaliser des milliards de dollars.
L’industrie des hydrocarbures propose ainsi de favoriser des revirements en sa faveur, qui auront des implications considérables et à très long terme sur le type même de société qu’est le Québec, sur le fonctionnement de nos institutions politiques, sur la gouvernance des ressources naturelles et sur notre empreinte climatique. Dans ce contexte, doit-on craindre que le gouvernement du Québec soit tenté de remettre en question le projet de loi 21 visant à mettre fin à la recherche et à la production d’hydrocarbures ?
Du côté fédéral, profitant de la situation de crise, Jonathan Wilkinson, ministre canadien des Ressources naturelles, annonçait le 24 mars : « L’industrie canadienne a la capacité d’augmenter progressivement ses exportations de pétrole et de gaz d’environ 300 000 barils par jour (200 000 barils de pétrole par jour et 100 000 barils d’équivalent pétrole par jour de gaz naturel) au cours de 2022, afin de remplacer le pétrole et le gaz russes ». Or la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité adoptée en juin 2021, visant à atteindre zéro émission carbone en 2050 et à respecter nos engagements dans le cadre de l’Accord de Paris, ne devrait-elle pas nous faire réfléchir sur l’impact d’une telle incohérence de positions ?
Certes, à court terme, certaines économies européennes se retrouvent dans une situation de vulnérabilité du fait de leur dépendance énergétique par rapport à la Russie. Mais comment se fera la sécurisation énergétique ? L’offre toute récente de gaz naturel des États-Unis ne fera que retarder l’adoption par l’Union européenne de stratégies qui diminueraient son empreinte carbone. Le moment ne devrait-il pas être saisi, comme le proposait cette semaine Gérard Montpetit, dans les pages du Devoir, pour réfléchir aux façons de se sortir de la dépendance aux combustibles fossiles, en ces décennies cruciales pour la lutte contre les changements climatiques ?
Qui décide de l’avenir énergétique du Québec et du Canada, avec quels objectifs, pour quels choix de société ?
Ce qui est en jeu marquera l’avenir du Québec pour des dizaines d’années. Comme le notait Annie Chaloux dans un récent article, « si on disait oui aujourd’hui au projet GNL Québec, il ne verrait pas le jour avant 2025. Mais à ce moment, la crise en Ukraine sera passée, alors que la crise climatique sera toujours là […] ».
Qu’en sera-t-il de la crédibilité de notre engagement collectif sur la scène internationale si nous contournons les processus de décision démocratiques dans notre propre pays, si nous bafouons cette démocratie que la population de l’Ukraine est prête à payer si cher pour défendre ?