Les chaires de recherche du Canada et l’autonomie des universités

Les recteurs sont pris en flagrant délit de soumission totale au gouvernement fédéral, écrit l'auteur.
Photo: Jacques Boissinot La Presse canadienne Les recteurs sont pris en flagrant délit de soumission totale au gouvernement fédéral, écrit l'auteur.

Il est curieux de constater qu’à l’occasion de l’annonce d’un concours pour pourvoir un poste de professeur de biologie à l’Université Laval certains élus semblent soudain découvrir que les universités québécoises sont soumises à des règles fédérales strictes sur lesquelles elles n’ont aucun droit de regard, sous peine de sanctions. Et cela, malgré le fait bien connu que l’enseignement supérieur, et donc l’embauche de professeurs qui ultimement émargent au budget général de l’université, est un domaine de compétence exclusivement provinciale, selon la Constitution canadienne de 1867… Le truc ici consiste à utiliser le mot « recherche », domaine qui n’est pas exclusif aux provinces, pour faire oublier le fait qu’il s’agit pourtant bien d’un programme d’embauche de professeurs.

Car au-delà de la question des « quotas » d’embauche et du fait curieux de mettre dans le même panier les femmes, les Autochtones, les handicapés et les minorités ethniques, cette excitation temporaire des élus et des médias permet de rappeler un fait plus fondamental concernant la soi-disant « autonomie » des universités.

En effet, alors que les recteurs affirment haut et fort depuis quelques mois tenir à leur sacro-sainte « autonomie » comme à la prunelle de leurs yeux et s’opposent « avec vigueur », comme le disent les avocats, à toute velléité de la part du gouvernement du Québec de s’ingérer dans ce qu’ils jugent être « leurs affaires », les voici pris en flagrant délit de soumission totale au gouvernement fédéral, qui leur dicte les conditions d’embauche de professeurs ! J’avais d’ailleurs lancé une mise en garde, dans les pages du Devoir, il y a vingt ans déjà, contre cette opération qui troquait une part d’autonomie des universités contre quelques dollars (100 000 $ pour une chaire dite junior et 200 000 $ pour une chaire dite sénior). On s’était bien sûr dépêché de nier le tout dans la langue de bois habituelle des organisations.

Pourtant, avant cette chaire de biologie, il y a eu, toujours à Laval, celle, pourtant passée inaperçue, portant sur la littérature française, elle aussi réservée aux « femmes, Autochtones, personnes en situation de handicap et personne appartenant aux minorités visibles ». Sachant parfaitement qu’un tel critère pouvait être considéré par plusieurs personnes sensées comme problématique de la part d’une université « autonome », l’Université avait aussitôt ajouté qu’elle avait les mains liées et qu’elle ne pouvait « déposer d’autres types de profils de candidature tant que ses cibles de représentation ne [seraient] pas atteintes, et ce, conformément aux exigences du Programme des CRC ». L’Université oubliait curieusement de préciser que ces « cibles » étaient elles aussi imposées par le fédéral, sous peine de sanctions.

Bien sûr, l’argent n’a pas d’odeur et, comme les universités considèrent que le niveau de financement provincial n’est pas suffisant, elles ne peuvent se permettre de refuser 100 000 $ par année pendant cinq ans pour contribuer à payer le salaire d’une jeune professeure. Les directions se plient alors en silence à des conditions de plus en plus restrictives, espérant que personne n’y regardera de plus près…

Exigences non dénoncées

 

Répétons qu’il ne s’agit pas ici de discuter de la légitimité de limiter certaines embauches à des groupes spécifiques, car, « à qualité égale » des candidatures, cela se fait pour les femmes depuis plus de vingt ans, mais plutôt de noter que ces exigences imposées par le programme fédéral ne sont nullement dénoncées par les universités comme étant une entrave illégitime et inacceptable à leur autonomie. N’était-ce pourtant pas là un cas flagrant de négation de leur autonomie de gestion ? Il est vrai que les dirigeants des universités acceptent aussi parfois d’oublier un peu leur autonomie pour signer des contrats avec des organisations privées qui exigent que tout soit secret, du nom des chercheurs jusqu’aux résultats de la recherche, comme l’a bien montré la journaliste du Soleil Mylène Moisan dans une série de chroniques en mars et avril 2021.

En somme, pour être crédible, l’exigence d’autonomie ne peut pas être à géométrie variable. Si le fédéral peut dicter les caractéristiques physiques des personnes qui peuvent devenir professeurs dans des universités québécoises qui ne relèvent pas de sa compétence, on voit mal en quoi une intervention de la part du gouvernement du Québec, qui utilise les impôts des citoyens et citoyennes de la province pour faire fonctionner les universités, constituerait soudain une grave atteinte à leur autonomie. Après tout, si les universités sont en désaccord avec les contraintes que leur impose le fédéral, elles peuvent toujours refuser de participer à ce programme, exerçant alors véritablement leur autonomie de gestion.

Quant au gouvernement provincial, au lieu de gronder les universités et de fermer ainsi les yeux sur l’ingérence fédérale, s’il veut vraiment défendre sa compétence en matière d’enseignement supérieur, comme le fit Maurice Duplessis en 1951 en bloquant les subsides fédéraux aux universités, il n’a qu’à créer son propre programme de chaires de recherche ! On peut alors gager que les recteurs ne se plaindraient pas d’une « ingérence » dans leurs affaires…

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