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«Ce texte est fictif, mais ce qui l'a nourri ne l'est pas», précise l'auteur.
Photo: Michel Tremblay «Ce texte est fictif, mais ce qui l'a nourri ne l'est pas», précise l'auteur.

Historien, sociologue, écrivain, enseignant à l’Université du Québec à Chicoutimi dans les programmes d’histoire, de sociologie, d’anthropologie, de science politique et de coopération internationale et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les imaginaires collectifs.

Dès que je suis arrivé à mon nouvel appointement, j’ai cédulé un meeting avec mon staff. On s’est souhaité bon matin puis on s’est tous introduits. À travers une série de PWP, j’ai ensuite exposé ma conception du management (une conception très compréhensive). J’ai référencé quelques papers qu’ils devront lire.

Après, j’ai adressé avec eux ma méthode de travail, mais très ouvertement (je n’ai pas d’agenda caché). Je leur ai partagé que nous allions commencer tranquillement, mais que j’allais incrémenter progressivement leur tâche.

Je leur ai bien dit que je serais disponible 24/7 (il n’y a pas de TGIF pour moi), qu’ils pourraient donc me contacter quand ils voudraient à travers mon email, mon cell ou whatever. Mais il faut que ce soit sérieux : je n’aime pas me faire bullshitter. Ils étaient tous confortables avec ça, ils trouvaient que ça faisait du sens. Je sais que quelques-uns vont m’appeler juste pour chatter mais, au total, c’est gagnant-gagnant.

J’ai bien insisté : s’ils veulent être éligibles à une promotion, ils devront être entièrement dédiés à leur tâche et rencontrer toutes mes conditions. Chacun doit faire sa contribution en saisissant toutes les opportunités et en évitant tout ce qui est contre-productif.

J’ai tenu à faire ces points-là parce que, dans ma job précédente, mon leadership a été questionné. Mais là, toutes les questions ont été répondues, y compris celles qui venaient du champ gauche. Réalistiquement (ou réalistement ?), je pense que ça va bien aller.

Une chose que j’ai fini par catcher, c’est que personne ne semblait avoir la même idée de nos responsabilités exécutives. Nous avons donc revisité la charte de notre département, et sur ça aussi j’ai tenu à bien mettre l’emphase. Pour le reste, je me suis engagé à les consulter avant de faire une décision ou de prendre des actions, surtout quand il s’agira de délivrer une directive ou une politique.

Après tout, c’est assez basic si on veut être une équipe. J’ai quand même rappelé que, à la fin de la journée, c’est moi qui allais trancher. Ça me paraît consistant avec mon mandat. Je me dis que le plus qu’on est clair, le plus qu’on est compris.

Il y a d’autres items que nous avons parlés (j’avais préparé une bonne check-list). Par exemple :

— J’aime bien être updaté sur leur travail.

— S’ils veulent chiller un peu durant la journée, je n’ai rien contre, j’ai remarqué qu’au total, c’est énergisant. Se faire des meetings aussi, à deux ou trois, pas de problème, c’est intellectuellement nutritionnel et souvent informatif, ça évite de dupliquer des efforts. Et une bonne joke a toujours sa place, ça peut combler bien des gaps. Je tiens aussi à ce qu’ils établissent entre eux des relations qui ne soient pas seulement instrumentales.

— S’ils trouvent qu’ils sont mal instrumentés, qu’ils contactent le magasin, où ils trouveront tout ce qu’ils ont besoin.

— S’ils font face à un problème et n’arrivent pas à se faire une tête, se rappeler qu’il y a toujours des alternatives. Et s’ils ont besoin de counseling, qu’ils viennent me voir asap. Pas besoin de coach pour ça. Qu’ils s’appliquent à toujours faire les bons moves. Mais qu’ils n’en fassent pas non plus un breakdown, leur job sera toujours un work in progress.

— Au besoin, nous pourrons brainstormer avec toute l’équipe. Mais attention de ne pas trop dépendre sur les autres.

— Ils sont bien invités à commenter sur mes décisions, je n’aime pas manager top-down. Qu’ils n’aient pas peur de taxer ma patience.

— Garder à l’esprit que j’attends du rendement, que leur futur est toujours sur la ligne.

— Je leur ai rappelé l’importance de dévouer le bon budget à une job, de savoir implémenter rapidement de nouvelles procédures, de bien approximer les coûts d’un projet et de ne pas hésiter à demander du support, quoiqu’on ait des softwares très prédictifs pour ça. Même chose quand un système est disrupté. Je leur ai dit aussi que les meilleures pratiques seraient évidemment rewardées et que personne ne serait discriminé.

Finalement, je les ai prévenus que dans le futur nous aurions des dossiers difficiles à processer, que ce n’allait pas être tous les jours une marche dans le parc. Le meeting a été assez long ; j’ai pris tout mon temps, d’abord en examplifiant puis en typifiant chacun de mes points à travers notre cahier des charges.

Je savais que ce premier contact allait beaucoup impactersur leur rendement. Je les ai prévenus aussi que tous les jours, avant de quitter le bureau, nous allions débrieffer notre journée, mais en focussant sur le positif et sur nos premières priorités.

À la fin du meeting, ils m’ont tous dit qu’ils trouvaient ça cool. Ils étaient all in. Je leur ai souhaité le meilleur et on s’est séparés.

À tout prendre, je pense que j’ai une belle gang. Ce n’est pas le jackpot, mais c’est bon. Quand on aura pris le momentum, on va avoir du fun. J’en ai déjà identifié deux ou trois pour siéger sur notre comité de planning. Il y en a un en particulier qui a fait des bons points durant le Q/A.

Je sais que, pour plusieurs employés, ce genre de pep-talk est stressant, mais typiquement, ça en vaut la peine. Ça évite des malentendus. Puis, c’est toujours désagréable d’avoir à lambaster un collaborateur.

C’est bizarre, mais je constate que ça m’a aidé de me faire flusher de ma dernière job. J’avais assumé que, du moment qu’on est gradué, tout serait facile. Je me suis promis que, dans le futur, j’apprendrais à contrôler sans être contrôlant.

C’est une règle importante pour manager avec efficience. Une autre règle, c’est qu’il faut challenger,mais pas écraser ses employés. Autrement, ils crashent. Comme je l’ai dit, je tiens à les booster, mais pas à les pousser à l’addiction ni au burnout.

Ah, j’oubliais. Quand je suis arrivé à mon poste, le grand boss m’a informé que je devrais opérer beaucoup en anglais. Malheureusement, je ne suis pas très fort avec l’anglais, je vais devoir suivre plusieurs sessions de training. Ça me stresse, j’ai peur qu’à la longue, ça vienne scraper mon français.

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