Faut-il intervenir sur le prix de l’essence?

«La hausse du prix du pétrole est un phénomène mondial et ce prix demeure le coût réel de son utilisation au Canada», écrit l'auteur.
Photo: Paul Chiasson La Presse canadienne «La hausse du prix du pétrole est un phénomène mondial et ce prix demeure le coût réel de son utilisation au Canada», écrit l'auteur.

Le prix de l’essence a subi une hausse fulgurante depuis le début de l’année. Ainsi, à Montréal, il est passé d’un prix moyen de 1,136 ¢/litre en décembre dernier à 1,859 ¢/litre le 14 mars, soit une augmentation de 63,6 %. C’est beaucoup pour un bien dont l’usage est associé à nombre de nos activités quotidiennes.

Des voix s’élèvent en faveur d’une intervention gouvernementale qui freinerait la progression de ce prix. La suggestion la plus fréquente est la réduction des taxes que collectent les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral sur les ventes d’essence et sur les autres produits raffinés. Ainsi, M. Jason Kenney, premier ministre de l’Alberta, a annoncé qu’il retirerait la taxe sur les carburants à partir du 1er avril. Par contre, M. François Legault a indiqué qu’il n’adopterait pas une telle mesure alors que M. Doug Ford, premier ministre de l’Ontario, abaissera la taxe sur les carburants si le gouvernement fédéral renonce à la hausse de la taxe sur le carbone déjà prévue pour avril.

Un prix inférieur au prix mondial

 

Puisque le Canada est plus qu’autosuffisant en approvisionnement de pétrole brut, il est également suggéré que le gouvernement fédéral impose un prix interne qui serait inférieur au prix mondial. L’analyse qui suit montre que ces deux approches visant à réduire l’impact du prix du pétrole pour les consommateurs n’ont pas de fondement économique et que sur cette base, elles ne devraient pas être appliquées.

Le facteur principal sous-jacent à la hausse des prix des produits pétroliers est la croissance du prix du pétrole brut, qui a bondi de 72 $US/baril (Brent) le 31 décembre dernier à 129 $US/baril le 8 mars. Cette poussée est reliée à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui est un producteur important de pétrole brut, soit 10 millions barils par jour sur une consommation mondiale de 100 millions barils par jour. L’augmentation du prix du pétrole brut nous indique que le marché appréhende une disponibilité réduite du pétrole russe dans un proche avenir. L’intégration du marché amène la même hausse de prix partout sur la planète. Puisque le marché anticipe une baisse de disponibilité, la quantité demandée devra aussi baisser, car le niveau actuel de demande ne pourra plus être maintenu. L’augmentation du prix est le mécanisme qui rétablira l’équilibre entre l’offre et la demande.

Les pays de l’OPEP

La baisse des taxes sur les produits pétroliers perçues par les gouvernements irait à l’encontre de ce rajustement nécessaire, et le prix du pétrole brut devrait croître davantage pour rétablir l’équilibre sur le marché mondial. Les producteurs de pétrole en seraient les grands gagnants.

Présentement, 55 % de la production mondiale de pétrole provient des pays formant l’OPEP+ (Organisation des pays exportateurs de pétrole), dont les principaux membres sont l’Arabie saoudite, la Russie, l’Iran, l’Irak, le Koweït et les Émirats arabes unis. Une augmentation plus forte du prix du pétrole causerait un transfert additionnel des pays importateurs vers les pays exportateurs, contribuant ainsi à la rente pétrolière de ces derniers. De plus, une baisse des taxes sur la consommation de produits pétroliers s’appliquerait à tous les usagers, qu’ils soient riches ou démunis. Dans ce contexte, il m’apparaît préférable d’effectuer un transfert destiné uniquement aux moins bien nantis et de garder intact le signal du prix pour tous les usagers.

Le Canada, qui occupe le 4e rang mondial comme producteur pétrolier, a produit 5,13 millions de barils par jour et consommé 2,28 millions de barils par jour en 2020 ; il fut donc un exportateur net de 2,85 millions de barils par jour. Sur la base de cette autosuffisance, il est suggéré que le gouvernement fédéral impose un prix interne au Canada qui serait inférieur au prix mondial. Cet écart de prix ne changerait pas le coût réel du pétrole consommé au Canada, qui demeurerait le prix mondial, et ainsi, il causerait une perte nette pour l’ensemble de l’économie canadienne.

Le contrôle du prix interne du pétrole brut fut au cœur de la politique énergétique mise en œuvre par le gouvernement Trudeau père dans le contexte des crises pétrolières de 1973 et 1979. Les effets économiques ont été désastreux. De plus, cette politique a généré une rancœur qui perdure encore en Alberta. Pour comprendre cette rancœur, il faut imaginer la réaction suscitée au Québec par une politique fédérale qui forcerait Hydro-Québec à vendre son électricité aux provinces voisines à un prix plus faible que le prix des ventes aux États américains, tandis que le gouvernement fédéral s’approprierait cet écart de prix à l’exportation.

La hausse du prix du pétrole est un phénomène mondial et ce prix demeure le coût réel de son utilisation au Canada. Les deux mesures décrites plus haut, qui visent à amoindrir l’impact sur les usagers, ne changent en rien ce coût réel et entraînent une perte économique pour l’ensemble des résidents d’un territoire donné. Les transferts directs sont la voie à suivre pour corriger la perte réelle subie par les ménages moins bien nantis.

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